Fort comme un hypersensible

« Hypersensible » ? Bon sang mais c’est bien sûr ! Voilà pourquoi j’ai cette sensation désagréable, depuis toujours d’avancer dans la vie comme si j’étais perchée en haut du mât d’un bateau en pleine tempête, sans pantalon et sans k-way…

« Sensible », ok, je l’avais ! Mais il me manquait le « hyper » pour comprendre en profondeur ce qui fait de moi un être aussi fragile, ultra réceptif à tout.

Pour l’hypersensible que je suis, le témoignage de Maurice Barthélemy éclairé par l’expertise de Charlotte Wils sur le sujet, agit comme une bouillotte.

Qu’il est réconfortant de lire que cette fragilité qui nous colle à la peau est une force, une vraie force, si justement on en prend conscience et qu’on l’accepte.

Dans le monde ou nous vivons, un monde qui valorise la dureté, l’hypersensible a souvent du mal à trouver sa place, parce que la fragilité est souvent perçue comme une faiblesse. Il n’est pas rare pour un hypersensible d’entendre cette phrase atroce : « il faut absolument que tu t’endurcisses, sinon tu vas te faire bouffer ».

L’hypersensibilité, ses multiples facettes 

Mais alors, qu’est-ce que l’hypersensibilité ? Selon Maurice Barthélemy et Charlotte Wils, il convient de parler d’un trait de caractère. 

Maurice Barthélemy découvre son hypersensibilité en devenant père, d’une hypersensible évidemment. C’est en effectuant un travail sur lui-même avec des professionnels, et en écrivant ce livre qu’il trouve des réponses, mais surtout un moyen de vivre avec cette fragilité et d’en faire une force. 

Bien sûr, ce trait de caractère peut prendre des formes différentes chez chaque personne. 

C’est pourquoi dans ce témoignage de Maurice Barthélemy retraçant son parcours de vie jusqu’à la découverte de son hypersensibilité, Charlotte Wils nous éclaire en même temps sur les grands traits communs et les différentes manifestations de l’hypersensibilité chez chaque individu.

Être hypersensible, c’est percevoir les choses intensément. Tout est décuplé, l’ouïe, le gout, l’odorat, le rapport à l’autre. Être hypersensible, c’est vivre tout très fort, « être profondément humain », profondément connecté à son environnement. Un hypersensible perçoit l’imperceptible. Si la chose paraît jolie écrite noir sur blanc, elle n’est pas forcément facile à vivre.

L’hypersensible, comme en témoigne Maurice Barthélemy peut vivre dans un extrême paradoxe. Il cherche le monde autant qu’il le fuit. Très empathique, il aime les gens. S’il évolue dans un contexte favorable à sa nature, il peut devenir soudainement très extraverti. Cependant, sa perception du monde est aussi intense que sa perception de lui-même. S’il perçoit les choses aussi intensément, c’est que les autres aussi peuvent percevoir cette fragilité dont il a honte. L’hypersensible se cache alors. Il se sent souvent inférieur aux autres et ne peut s’empêcher de se juger lui-même. Sa confiance en lui est très limitée et son exigence très forte. Si un hypersensible n’est pas entouré de personnes réceptives à ce trait de caractère, il se met en retrait. 

Autosabotage, syndrome de l’imposteur

Maurice Barthélemy parle très bien de cette notion d’auto-sabotage chez l’hypersensible, qui ne se sent jamais à la hauteur de ce qu’il entreprend et par conséquent, a tendance à s’empêcher de faire ce qui lui tient le plus à cœur, pour ne pas décevoir les autres et ne pas se décevoir lui-même.

Dans le cas de Maurice Barthélemy, la vie a mis sur sa route des personnes qui lui ont permis d’évoluer avec cette fragilité, des personnes tout aussi hypersensibles. Il parle de sa rencontre avec la troupe des Robins comme d’une chance. Ce contexte de travail, laissant place à la liberté de création lui a été salutaire. Quand on trouve dans son travail des gens réceptifs à notre folie intérieure et qu’on peut en faire un vrai travail, un travail sérieux, c’est un cadeau qu’il faut conserver bien précieusement.  Pour autant, les choses n’ont pas toujours été simples :

Ce problème de confiance en moi m’a poursuivi par la suite. Je le rapprocherais du syndrome de l’imposteur : celui qui croit ne pas mériter d’être là. J’ai rien à faire là, je n’ai pas le talent suffisant, je n’ai pas la capacité de travail suffisante, je ne vais pas intéresser les gens. Autosabotage permanent. Quelle que soit l’activité que je mène, ce syndrome se met en place : non, je ne suis pas bon, je ne vais pas y arriver. Les hypersensibles ont un très haut niveau d’exigence alors ils se déprécient très vite.

Maurice Barthélemy

Un cerveau en ébullition : la pensée en arborescence

Maurice Barthélemy parle de sa pensée en arborescence, une tête qui fume, qui pense tout le temps et qui découpe chaque pensée en de multiples pensées qui elles-mêmes en accompagnent d’autres. Ce fonctionnement fait de l’être hypersensible un être incapable de simplifier les choses. Chaque détail, chaque pensée a son importance. Dans sa façon d’appréhender la vie, d’appréhender son travail, l’hypersensible décortique tout. C’est extrêmement fatiguant. C’est pour cette raison que la scolarité est souvent une étape difficile. 

L’ignorance de l’hypersensible, le manque d’empathie, ou l’excès de zèle dans le respect des consignes au sein de tout le système éducatif français provoquent des dégâts considérables chez les enfants hypersensibles et fabrique des adultes hypersensibles qui ne font pas ce pour quoi ils sont faits, qui ne sont pas ce qu’ils devraient être. 

Charlotte Wils

Ce cerveau en ébullition permanente peine parfois à rendre compte de son chemin de pensée. L’hypersensible se perd, s’embourbe, perd ses moyens s’il ne trouve pas d’interlocuteur réceptif. Le fait de ne pouvoir exprimer le fond de sa pensée est vécu comme une souffrance pour l’hypersensible qui met un point d’honneur à tout ranger, tout structurer. Ne pas trouver le moyen d’aller au bout de quelque chose est une grande frustration qui est souvent accompagnée d’un sentiment d’infériorité, d’incapacité.

Mais c’est aussi ce système de pensée qui le rend exceptionnel et intéressant, parce que l’hypersensible est passionné. Tout le questionne, tout l’interpelle, tout le titille. Rien ne l’indiffère. Il cherche du sens en toute chose.

C’est en cela que le témoignage de Maurice Barthélemy est réconfortant. On apprend dans ce livre que non seulement on peut vivre avec cette hypersensibilité mais on peut également en faire quelque chose de beau. L’hypersensible, bien qu’ayant une forte tendance à se planquer, s’il prend conscience de sa particularité est quelqu’un, qui de sa formidable oreille attentive, de son œil attendri sur le monde, est capable de faire de grandes et belles choses s’il s’autorise à prendre sa place. 

Découvrant à mon tour mon hypersensibilité par le biais de cette lecture, je me sens toujours en haut du mât, en pleine tempête, mais j’ai l’impression qu’on vient de me tendre une longue vue et que je vois enfin une île, une île qui me permettra de me reposer un peu la tête. Et même, si elle est à des lieues de ma position, j’avance avec la ferme intention de rester bien accrochée au mât ! Tant pis pour le pantalon ! 

Merci Maurice Barthélemy, merci Charlotte Wils !

Elodie Da Silva

Maurice Barthélemy et Charlotte Wils, Fort comme un hypersensible, Pocket, janvier 2022, 221 pages, 8 euros

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