Fouché, les silences de la pieuvre

À  trop juger maigre ce don, seul,  imparti à l’homme, les peuples risquent de se réveiller demain à Gilead, en 1793 en France, en 1917 en Russie, en 1933 en Allemagne et en 1979 en Iran : il ne faut pas laisser les diseurs de vérité jouer avec les opinions publiques et répondre à chaud aux justes doléances, sous peine de se réveiller, Mesdames, maîtresses de maison, servantes écarlates ou simples bonniches, dans un monde où tout livre est interdit et où l’État contrôle vos rêves et vos vies pour un souverain bien  où vertu et  bien commun hypostasiés en Vérité ne sont que malheur et être pour la mort. Ne jamais sous-estimer les puissances patriarcales, le mépris trop appris et trop apprivoisé des hommes qui n’ont que leur machin pour se croire quelqu’un.  Marguerite Atwood, que je n’ai à tort pas lue encore, a imaginé qu’une femme avait souhaité contre la folie ambiante — la destruction systématique du féminin et de ses vertus, un monde où la stérilité menaçait dans un contexte écologiquement perturbé, le nôtre — le retour des femmes au foyer et la reconquête des mers de la fécondité !  Pour tous fruits, la militante aura récolté le très hideux spectacle du bon sens glacé en pragmatisme politique, la douleur de voir sa claire vision devenue l’occasion de nouveaux Lebensborn. Une société où des femmes nubiles sont violées en toute légalité, leurs ventres, considérés fort chrétiennement comme de simples tiroirs ou vases c’est égal, et leurs enfants, confiés aux matrones stériles elles-mêmes empêchées d’approcher charnellement leurs maris … afin que la puissance des sens n’entrave point la bonne marche du monde. Aujourd’hui, demain, tout un.  Les régimes totalitaires à l’envi ont arraché aux femmes pauvres leurs nouveaux nés pour les confier à des notables en mal d’enfants. À Madrid, à Vichy, plus tard à Santiago du Chili, l’équation misère, fertilité et pouvoir politique s’est toujours résolue sur le dos des Misérables. Depuis la nuit des temps, les vainqueurs soumettent les peuples en s’accaparant le ventre des femmes.  Dans ce paradis de Gilead, la populace mâle, soumise au même mélange impur de tradition saisie par la modernité et étatisée, se voit réservée la haute charge de la sécurité publique. Temps suspendu. Les femmes enfantent ou balayent la grotte obscure et les hommes, armés de pied en cap, protègent l’antre primordial, gardiens silencieux du mystère de l’origine, lieutenants de la nature naturante.  L’unique espace de pseudo-liberté se verra concédé aux déviants – homosexuels, infertiles, junkies ou alcooliques. Comme à l’accoutumée, en marge des lois, bordels et cabarets fleurissent, champs clos où les maîtres du pays parfois s’évadent.  De la dystopie vers le vice, tel paraît l’ultime refuge d’une humanité en route vers la mort, ô pardon la perfection. Services et sévices. En matière de sexualité, la frontière est labile. Les révolutions ont ceci d’admirable toujours qu’elles augmentent, par souci du bien commun et passion de l’égalité, le nombre des malheureux. 

Ainsi les austères et doux pensers de la divine Manon — livrés aux spasmes de la guillotine pour tous par de virils machiavels dont l’un d’eux, Joseph Fouché, oratorien parfait, se muera, quelques années plus tard, en inventeur de la police moderne. Réclamer le bonheur aux politiques, à la politique même, est folie, que la littérature et elle seule a pouvoir de modérer. 

Le Fouché de Waresquiel m’a posé, je l’avoue, problème, quelque grand intérêt que je pris à le lire. Waresquiel est un historien renommé, son livre est sérieux plus que cela :  la bibliographie, les annexes, les sources et les notes en témoignent : 195 pages.

Excepté dans le cœur de l’ouvrage et le cœur de la vie et de l’œuvre du personnage, l’invention de la police moderne, celle-là qui va mourir, remplacée — cyber-police en marche — et déjà menacée de privatisation par Jupiter (1), Waresquiel, en dépit de ses affirmations trop répétées pour être honnêtes, n’apporte pas grand chose. 

Le moyen de trouver du nouveau dans la psychologie du personnage après Zweig ? 

Allez-y, traitez-moi de ringarde. J’ai l’habitude, le dos large aussi de nager — sirène de pacotille —  25 mètres aller retour sans discontinuer, MP3 aux oneilles, mère Ubu, trois fois la semaine jusqu’à ce que vide s’en suive.  

Heureusement pour moi, Michel Del Castillo arrivait au même constat à propos du Fouché de Tulard. Dispensable selon lui, comparé au Livre d’un juif viennois qui, en 1931, regarde avec angoisse l’ombre des polices s’étendre sur l’Allemagne et glisser à l’horizon d’une Autriche menacée, c’est ce voisinage de l’horreur qui produit le tremblement de plume

L’historiographie moderne a tranché qui se fiche du tremblement de plume.  Pourquoi donc s’évertue-t-elle à prétendre approcher le cœur battant du Personnage ? 

 Waresquiel prétend avoir découvert le pot aux roses.  Pas d’effets sans cause. Certes. Il faut bien expliquer la malignité du personnage voire — modernité oblige — la justifier, l’excuser. Pour lui, un triptyque suffit : solitude, mort et lien privilégié avec la mère. 

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