Les Enfants de Cadillac, la quête familiale de François Noudelmann

François Noudelmann dirige la Maison française à New-York University, où il enseigne. Le monde des études sartriennes le connaît pour la qualité de ses essais consacrés au philosophe, donc un tout autre Sartre paru en 2020. Avec Les Enfants de Cadillac, il revient sur les destins spéculaires de son grand-père et de son père. Il cherche, dans leur histoire, la sienne propre. Comment être un homme, et particulièrement un juif, dans l’ignorance — voire le rejet — de ses racines. Ou, pour le dire en sartrien : « que peut-on savoir d’un homme, aujourd’hui ? » (1)

Douloureuse filiation

[…] tout au plus un individu sans attache, au passé sans partageait à l’avenir sans horizon.

Les Enfants de Cadillac se compose de trois parties : le grand-père, le père, le narrateur (gardons ce terme puisqu’il s’agit d’un roman, même si nous ne sommes pas dupes qu’il s’agit d’un récit autofictionnel). Le grand-père, Chaïm, part à pied du fin fond de l’Europe de l’Est et arrive en France, pour laquelle il combat pendant la Grande Guerre, gagnant sa nationalité sous le feu. Il reviendra, blessé et perturbé, ira d’hospice en hospice pour finir en Gironde, à Cadillac. L’occasion pour le narrateur de faire le portrait de cet immonde mouroir. Le père fera le chemin inverse, partant vers l’Est comme prisonnier de guerre, dans un camp de travail en Silésie. Paradoxalement, alors qu’il ne savait rien et ne voulait plus rien savoir de son père, quand il s’échappe ou qu’il est rapatrié à la fin de la guerre, il suivra le même chemin que son père. La même route vers l’identité mais aussi la même route du silence : il fera partie de ceux qui ne pourront rien dire de leur expérience de la guerre, parce qu’on ne voulait pas entendre et que le silence était pour lui le seul remède. C’est un père taiseux, qui n’aura envers son propre fils que peu d’histoires à transmettre, même si leurs moments de joie partagés dans la jeunesse du narrateur étaient, justement, des moments de lecture, à écouter la voix du père, à se calfeutrer contre lui, partant que « un père juif est souvent une mère normale ». Comme si de père en fils la malédiction de la famille se transmettait, des vie à chercher au fond de soi à justifier de sa propre existence et, surtout, une vie qui recommence à zéro, sans racines, sans origine. Comment se construire avec une telle histoire familiale ?

Quant au narrateur, c’est en découvrant son grand-père qu’il renoue avec son père. Trop tard cependant. Leur séparation est à présent définitive. Que les liens familiaux sont compliqués quand il y a de l’amour mais que chacun doit recommencer à chaque fois, du début, sans racines…

Être juif, être humain

La question de la judéité se pose tout au long de Les Enfants de Cadillac, car Chaïm fuit en France pour échapper aux pogromes et va se jeter dans un pays qui sera bientôt vendu au régime nazi. Son fils cachera être juif pour échapper au pire dans les camps. C’est comme si, pour rester sartrien, restait toujours à se poser la « question juive » dans son rapport au monde et dans son rapport à soi. Sans être pratiquant,

François Noudelmann cherche à se construire au travers de cette double figure paternelle. Il cherche à comprendre le ressentiment de son père à l’égard de son propre père, et à extraire de cela les raisons qui ont fait de lui cet homme finalement renfermé.

Les Enfants de Cadillac est un très beu roman où le narrateur cherche à rendre à sa famille ses racines. Mais face à « l’effacement des origines », sa quête est d’abord une aspiration à la liberté. Et une très belle.

Loïc Di Stefano

François Noudelmann, Les Enfants de Cadillac, Gallimard, août 2021, 220 pages, 19 eur

(1) Dans sa préface à L’idiot de la famille, Sartre ajoute : « C’est qu’un homme n’est jamais un individu ; il vaudrait mieux l’appeler un universel singulier : totalisé et, par là même, universalisé par son époque, il la revitalise en se reproduisant en elle comme singularité. Universel par l’universalité singulière de l’espèce humaine, singulier par la singularité universalisante de ses projets […] »

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