Pie XII, un pape face aux totalitarismes
Auteur d’ouvrages, citons l’histoire du fascisme (Perrin, 2018), et de biographies comme celle de Victor-Emmanuel III (Perrin, 2014), Frédéric Le Moal a ici choisi de s’intéresser à une figure controversée, celle du pape Pie XII. L’homme gouverna l’église pendant la seconde guerre mondiale et son attitude face à la Shoah est aujourd’hui source de controverses.
Un clerc italien

Le futur Pie XII naît Eugenio Pacelli le 2 mars 1876 dans une famille qui doit beaucoup à la faveur des papes. Il se distingue par ses dons intellectuels et sa foi et c’est donc tout naturellement qu’il choisit la carrière de prêtre. Mais Pacelli est très vite repéré pour ses dons et intègre l’appareil administratif de l’église, tant sous Benoît XV que Pie XI. On le voit ainsi nonce apostolique à Munich, faisant face à la révolution spartakiste. Anticommuniste, il prône cependant des accommodements avec le régime républicain, négociant un concordat avec la Bavière. Il est ensuite en poste à Berlin où il essaie de modifier son image avec les Français : Pacelli est soupçonné depuis 1917 par Paris d’être pro-allemand, ce qui n’est pas exactement le cas.
Secrétaire d’état de Pie XI à partir de 1930, il fait face à la montée du nazisme pour lequel il n’a, les archives le montrent, aucune complaisance même s’il soutient le concordat signé en 1933… Et vite rogné par les nazis. Pie XI s’affirme en tout cas comme un pontife antinazi, signant des encycliques qui s’en prennent à l’idéologie hitlérienne dont Pacelli modère le ton tout en soutenant le fond. C’est lui qui devient pape en 1939, au moment où le monde s’embrase.
Contre le nazisme et contre le communisme
On ne va pas reprendre le dossier mis en forme contre Pie XII, en partie cosntruit par le KGB (qui a soutenu la rédaction de la pièce de Rolf Hochhuth, Le vicaire, base du film Amen de Costa-Gavras) mais il est clair qu’aujourd’hui il repose en partie sur des mensonges. Pie XII réside à Rome au Latran en Italie, alors fasciste. Mussolini est allié d’Hitler et il n’a pas le choix : il doit biaiser, louvoyer, voire se taire. Cela ne veut pas dire qu’il ne fait rien : l’église sauve un grand nombre de juifs de Rome en 1944 en les cachant. Il ne faut pas oublier son message de noël 1942 où il évoque mezzo voce la Shoah. Mezzo voce, c’est là le problème. Aujourd’hui on aimerait une protestation forte, sur les ondes, en oubliant que les nazis occupaient Rome dès septembre 1943, songeant à déporter le pape. Cela n’empêche pas qu’il y eut des maladresses nourrissant le soupçon d’ambiguïté. Surtout que Pie XII n’oublie jamais le danger communiste, contre lequel il va lutter après-guerre, intervenant clairement dans la politique italienne pour contenir le PCI. Pie XII, en bon diplomate du Vatican, laisse en tout cas la porte ouverte à l’est même s’il ne transige jamais sur le dogme et son autorité de pontife. Il soutient ainsi des évêques emprisonnés en Hongrie et en Pologne, n’hésitant pas à les faire cardinaux. Il cherche aussi le soutien américain, pas si évident que ça…
Secret, réservé, hésitant aussi, Pie XII est ici défendu clairement par Frédéric Le Moal qui ne cache pas ses zones d’ombre. En tout cas, l’homme n’était pas, soyons clairs, un antisémite. Pour autant, l’église catholique fut loin d’être un bloc (songeons à la Croatie, songeons à la Slovaquie de Mgr Tiso… et à Vichy, sans compter tous les ecclésiastiques qui aidèrent à cacher d’anciens collaborateurs). Cette biographie invite à la réflexion.
Sylvain Bonnet
Frédéric Le Moal, Pie XII : le pape face au mal, Perrin, septembre 2024, 432 pages, 25 euros