Friedrich Dürrenmatt, La Panne, une histoire encore possible

Immense figure de la littérature suisse, Friedrich Dürrenmatt est un écrivain plus facétieux que l’image d’Épinal de son pays natal. Après La Promesse, Gallmeister publie une longue nouvelle, La Panne, qui condense tout son talent.

L’aventure est au coin de la rue

Le fringant représentant de commerce en déplacement a une panne, sa voiture doit être réparée et le voilà bloqué dans un petit village. Il espère ue bonne table et une petite compagnie coquine, un fille de ferme accueillante, mais il ne trouve qu’un hôte étonnant. C’est chez un petit vieux très hospitalier qu’il trouve une chambre pour la nuit. Mais la soirée ne sera pas telle qu’envisagée, et pourtant fort bonne. En effet, son hôte a réuni ses camarades pour une soirée pendant laquelle chacun va endosser le rôle qu’il avait dans sa vie professionnelle passée (juge, procureur, avocat) et offrir un procès. Quel rôle pourra-t-il y avoir ? Celui qui reste disponible : le coupable.

D’abord surpris, il est rapidement enchanté d’une telle proposition, parce qu’il va s’amuser, et qu’il est parfaitement vierge de tout crime ou délit. Et la soirée commence autour d’une table sur laquelle les mets et les vins les plus délicieux vont s’enchaîner de manière pantagruélique. Las, sa bêtise et la rouerie de la triade chenue, le délassement du corps, l’ambiance amicale, tout concourt à ce qu’un improbable aveu s’échappe.

Un petit jeu sans conséquences

C’est dans une ambiance de farce, des plus grasses, que la comédie du procès a lieu. Mais les acteurs n’en sont pas moins de très malins vieux professionnels et vite la trame d’une intrigue policière se met en place. A la surprise du lecteur, et du représentant de commerce lui-même, qui est le premier à applaudir ! Car dans cette farce c’est la Justice dans sa forme la plus pure qui s’exerce, et qui montre son plus beau visage, comme sa forme la plus artistique possible. Car c’est tout un art de faire prendre conscience à un inconnu que sa personne tout entière se définit dans son acte, et que cela fonctionne pour lui comme une révélation.

Mêlant l’humour et l’art de l’interrogatoire, Friedrich Dürrenmatt tisse avec La Panne une vraie belle surprise, dont la force — en plus d’une écriture prenante et d’un humour mordant —, est sa portée. Dürrenmatt y dresse le portrait de notre époque, et de nos individualités, avec beaucoup de lucidité.

La Panne est suivie d’une notice très intéressante sur les différentes adaptations, par l’auteur lui-même pour une transposition en pièce de théâtre ou en film, et par d’autres (notamment Ettore Scola).

Loïc Di stefano

Friedrich Dürrenmatt, La Panne, traduit de l‘allemand par Alexandre Pateau, Gallmeister, « Totem », mai 2024, 112 pages, 6,90 euros

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