Correspondance avec Mathilde : pornographie épistolière
La bibliothèque de Besançon a son enfer, mais il est près du ciel : en 2023, on a retrouvé dans son grenier un ensemble de quatre-vingt-onze lettres d’une certaine Mathilde Carly de Svazzema accompagnées de vingt-cinq lettres de Gustave Courbet, d’une pornographie si crasseuse qu’il serait impossible de les citer sur Boojum, – bien qu’elles soient intégralement publiées dans le livre.
De la pornographie…
Dans sa première lettre, le 22 novembre 1872, Mathilde avançait timidement qu’elle n’avait encore jamais osé avouer son admiration pour son grand homme, le génie qu’est Courbet… Dès le 24 décembre, au bout d’un seul mois, Gustave est déjà bien échauffé :
« Tu veux me faire mourir de plaisir, tu as une telle soif de plaisir qu’à ton tour on te boit tout entière, on boit ton âme, ton cœur, tes seins gonflés d’amour avec leurs couronnes et leurs boutons roses, ton ventre qui rebondit de plaisir, de volupté, ta motte en moiteur si belle, si dorée, ton grand c… », etc.

Il faut dire que dès sa lettre du 20 décembre, Mathilde déclarait embrasser, tripoter et sucer « ce qui doit m’appartenir », écrivait-elle, déplorant que leur « amour » ne soit que de correspondance…
Ils s’écrivent ainsi tous les deux à trois jours jusqu’en juin, Gustave semble y prendre un plaisir physique… Il faut dire qu’il vit un sale moment, les Versaillais veulent lui faire payer son soutien à la Commune de Paris. Condamné pour avoir participé à la destruction de la colonne Vendôme, après avoir passé six mois à la prison de Sainte Pélagie, il s’est réfugié à Ornans, dans la solitude, où il attend la suite…
Son ami Patà craint un chantage : qu’arriverait-il si cette supposée gourgandine menaçait de publier sa correspondance pornographique ? En mars, Gustave réclame ses lettres, Mathilde refuse. Elle finira par lui en céder vingt-cinq. Malgré tout il lui fait porter un tableau en avril : elle lui doit 3 000 francs qu’il ne verra jamais. Il lui fait miroiter une édition de leur correspondance chez Poulet-Malassis, grand amateur d’auteurs marginaux et de textes licencieux (dont Baudelaire !), qui rapporterait 5000 francs. Du coup Mathilde arrive à Besançon, mais Gustave refuse de la rencontrer !
… à l’idéalisme
Ne lui avait-il pas écrit dès le 28 décembre :
« Je maintiens que pour tout le monde notre correspondance est idéaliste et ce que je redoute très fort c’est que la réalité soit inférieure à notre correspondance, c’est pour cela que je reste le plus longtemps dans les préliminaires » …
Il y stationnera définitivement.
Voilà bien un propos d’artiste, d’écrivain : Balzac n’eut-il pas une correspondance de plusieurs années avec sa Madame Hanska sans la connaître ? Il finit par se marier avec elle, pour son malheur… Les artistes ont cette sagesse : ils connaissent la valeur de l’idéal, hélas ils l’oublient…
La réalité était bien ce qu’il craignait : son ami Patà lui révélera que Mathilde est descendue à son hôtel bizontin avec un beau brésilien. Trahison ! Mathilde est arrêtée à Besançon, et y passe le mois d’août en prison. Quant à Courbet, il se réfugie dans la Suisse le 23 juillet, il ne la quittera plus. Bien lui en a pris : le 4 Mai 1877, il sera condamné à verser la somme de 323 091, 68 francs pour la reconstruction de la colonne Vendôme !
Mathias Lair
Gustave Courbet, Correspondance avec Mathilde, édition de Ludovic Carrez & Laurence Madeline & Berenice Rigaud-Hartwig, Gallimard/ville de Besançon, avril 2025, 368 pages, 22 euros