Indiana Jones et le Cadran de la Destinée, la dernière chevauchée ratée d’un géant

1969. Indiana Jones, éminent archéologue et ancien aventurier s’apprête à prendre sa retraite. Dévasté par la mort de son fils et par son futur divorce, il n’a désormais plus goût à la vie. Mais son existence bascule à nouveau lorsque sa filleule, Helena, fait irruption et bouleverse son quotidien. À la recherche d’un mystérieux artefact, le Cadran d’Archimède, la jeune femme ne va pas tarder à entraîner le vieil homme dans une ultime périple…

Sans faire preuve forcément de génie, James Mangold a démontré depuis le début de sa carrière un certain talent pour retranscrire le parcours de quelques légendes ou icônes américaines. En effet, le metteur en scène a brossé d’intéressants portraits, avec une pointe de mélancolie de grandes figures du folklore local, réelles ou imaginaires, telles que Sylvester Stallone (Copland), Johnny Cash (Walk the line), Wolverine (Logan) ou Ken Miles (Le Mans 66). Et au-delà du tableau se profile à chaque fois une tentative d’introspection sur ces mythes et sur l’impact qu’ils ont eu ou ont encore sur l’inconscient collectif.

Voilà pourquoi, sans doute, les producteurs ont confié au cinéaste la lourde tâche d’offrir au célèbre Indiana Jones et à son interprète Harrison Ford une dernière aventure en guise d’adieu au personnage né dans les années quatre-vingt. Un honneur difficile à accepter puisqu’il succède ainsi à une autre légende, cette fois du grand écran, à savoir Steven Spielberg, en dirigeant la destinée de l’intrépide archéologue. Une mission hautement périlleuse donc, surtout après l’échec critique et en partie public du précédent opus en 2008, Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal. Il lui fallait surtout circonvenir à l’aspect crépusculaire attendu du récit tout en respectant les codes épiques de la saga alors que l’acteur principal avoisinait les quatre-vingt ans. Une tâche délicate, presque impossible pour James Mangold, qu’il n’aura pas vraiment remplie à l’arrivée…

Space Oddity

Le long-métrage s’ouvre sur un flash-back, genèse des événements à venir, présentant un protagoniste alors à son sommet, capable des exploits les plus fous qui ont fait sa renommée au fil des opus. Une introduction somme toute classique qui contraste avec le bond en avant de près de vingt-cinq ans, synonyme pour Indiana Jones de retraite bien méritée. Au son du Space Oddity de David Bowie, les héros du présent viennent tout juste de conquérir la lune et défilent triomphalement.

Dans ce contexte, pour notre cher Indiana Jones, une unique question doit être soulevée : pourquoi continuer alors qu’il est lui-même réduit à l’état d’une relique poussiéreuse, de celles qu’il traquait sans relâche autrefois, mais qui n’intéressent guère ses contemporains ? L’homme ne séduit plus personne, à commencer par ses étudiants. Il ne captive même plus son audimat universitaire (cf. les scènes similaires dans Les Aventuriers de l’arche perdue ou Indiana Jones et la Dernière Croisade).

Il faut donc le reconnaître, la place du personnage campé par Harrison Ford devrait se trouver dans un musée puisque le temps des icônes des pulps est révolu. Dans cette atmosphère emplie de nostalgie et pesante en raison d’une tragédie encore fraîche, l’ex-baroudeur a troqué sa verve et sa splendeur pour une infinie tristesse et un sentiment de gâchis. Durant ces quelques minutes, James Mangold affiche son savoir-faire et on se souvient d’un travail identique sur Logan par exemple, présentant un Wolverine désabusé, cherchant désespérément une raison de vivre. On pressent alors que le cinéaste va s’attarder sur cet aspect, fil conducteur séduisant en diable qui lui a souvent réussi. Mais très vite, il change complètement de cap pour renouer avec le côté aventureux pur et dur lié à l’archéologue. Pour le pire hélas.

Les limites de la magie

Pourtant, on pouvait espérer que James Mangold allait maîtriser également cette approche d’autant plus que le réalisateur possède un bagage solide dans le genre, pour avoir œuvré sur le très honnête Night and Day. Malheureusement, en lieu et place du spectacle escompté, que l’on désirait épicé grâce à l’âge du héros, le cinéaste offre le minimum syndical, se moquant sans finesse au passage de son protagoniste, mais en lui donnant quand même l’opportunité de triompher sans peine dans des rixes même pas homériques.

Dans Indiana Jones et le Cadran de la Destinée, Harrison Ford ne se trouve pas uniquement confronté à une situation identique, on lui demande en plus de surjouer sur deux tableaux ; celui d’une pseudo déconstruction causée par la vieillesse et celui d’endosser son aura d’invincibilité d’antan. Par conséquent, il est difficile ne pas se gausser lorsqu’à soixante-dix ans, Indiana Jones met au tapis d’un seul coup de poing des agents nazis dans la force de l’âge.

D’autant plus que durant les courses poursuites, il s’avère incapable de courir (encore heureux) et par la suite, il clame haut et fort lors d’une séance de varappe, qu’il lui est délicat de se hisser comme dans sa jeunesse, handicapé par son dos, sa hanche et ses genoux (sans blague). À l’inverse de Copland ou de Logan, James Mangold ne parvient pas à instiller avec élégance cette connotation crépusculaire, ce qui nuit énormément à son entreprise. Quant aux séquences d’aventure, elles sentent autant le renfermé qu’un sarcophage ouvert, recyclant sans saveur ce qui fit la gloire de la saga pour culminer dans un final hasardeux.

Phœbe Waller-Bridge à la rescousse ?

À la vue de ce sombre horizon, on se demande si une éclaircie va venir transpercer les ténèbres de cet assemblage nébuleux sans véritable envergure. Or, dans une certaine mesure, un brin de lumière est apporté par la prestation vigoureuse, quoiqu’un poil forcée de Phœbe Waller-Bridge, qui incarne la filleule de l’ex-baroudeur, Helena Shaw. Elle décroche ici son premier grand rôle à cette occasion et fait montre d’une palette de jeu assez étendue. Surtout, l’écriture de son personnage si ce n’est ciselée, du moins fonctionnelle, ajoute du piment dans les relations qu’elle entretient avec son célèbre parrain.

La franchise a toujours affublé Indiana Jones d’un partenaire avec un air de famille (conjointe, père, fils lié par le sang ou non) et la collaboration de fait établie a souvent donné lieu à des instants de pure réjouissance (on se souvient de la maladresse de Sean Connery ou de la malice du jeune Ke Huy Quan). Mais le long-métrage propose une connexion différente puisqu’Helena Shaw est présentée comme un alter ego crédible à Harrison Ford, aussi habile et intelligente, mais douée d’intentions bien moins nobles. Le film sert ainsi de champ d’apprentissage pour l’héroïne qui doit découvrir d’autres vertus que celles de l’argent (on retiendra le dialogue savoureux entre Indiana et Helena, le premier se référant aux mystères et croyances rencontrés dans sa carrière, la seconde à la puissance du dieu dollar).

Conclusion très imparfaite d’une des épopées les plus populaires du septième art, Indiana Jones et le Cadran de la Destinée tente de remonter au temps de la splendeur des premiers épisodes sans y parvenir. Fade et inoffensif, l’essai de James Mangold se perd durant cette dernière chevauchée. Regrettable alors que le choix du réalisateur paraissait idoine à la base…

François Verstraete

Film américain de James Mangold avec Harrison Ford, Phœbe Waller-Bridge, Mads Mikkelsen. Durée 2h34. Sortie le 28 juin 2023.

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