Initial D, quand Infernal Affairs rencontre Fast & Furious

Takumi travaille dans une station-service le jour et officie en qualité de livreur de tofu la nuit. Depuis son adolescence, il profite de ses activités pour dévaler à toute allure les routes de montagne au volant de la voiture de son père. Pendant une tournée, il bat un pilote émérite à l’occasion d’une course clandestine. À partir de cet instant, plusieurs champions viennent le défier.

Si les noms d’Andrew Lau et Alan Mack sont reconnus en Occident par une partie des cinéphiles, c’est en raison de leur collaboration remarquable sur la fameuse trilogie Infernal affairs, des polars malins, paranoïaques, qui ont inspiré Martin Scorsese en personne pour son film oscarisé Les Infiltrés. Le duo de réalisateurs, au fait de sa gloire en 2005, décide alors de s’écarter du monde de la pègre afin de transposer un manga très populaire en Asie, Initial D. Cette série avait jusqu’alors été adaptée aussi bien sous une forme animée que vidéoludique.

Cette renommée lui valut donc les honneurs d’un portage sur grand écran en qualité de live action, sous la houlette de deux artistes désormais chevronnés. Ces derniers s’offrirent les services de la star de la chanson orientale, Jay Chou et choisirent de collaborer de nouveau avec Edison Chen (la vedette d’Infernal affairs) ainsi qu’avec Anthony Wong (l’acteur fétiche de Johnnie To). Objectif, rallier le plus d’admirateurs de la franchise possible avec une distribution de qualité. Mais Initial D, c’est quoi au fait ? La bande dessinée phénomène raconte les exploits de pilotes automobiles pas forcément en règle avec le Code de la route.

Ce synopsis rappelle de fait celui de l’exécrable saga Fast & Furious. Toutefois, il ne faut point crier au plagiat puisque le manga existait bien avant la conception des aventures de Vin Diesel et compagnie. Par ailleurs, l’œuvre originelle de Shūichi Shigeno offrait davantage de moments épiques que celle dédiée à la famille Toretto et proposait une narration bien plus intéressante. Car Initial D incarne encore maintenant le seinen diablement efficace et son itération cinématographique, le fruit du savoir-faire de deux hommes passionnés par leur sujet. Les moteurs peuvent vrombir et la course pour gravir le mont Akina en tête va débuter.

En quatrième vitesse                                                                

Cependant, contrairement à bon nombre de productions outre-Atlantique, Andrew Lau et Alan Mack refusent de s’adonner aussi bien à un maniérisme forcé qu’à une débauche d’effets ostentatoires au service de bolides de plus en plus rapides. Pour les metteurs en scène, l’enjeu prépondérant réside plus dans l’amour d’un sport qui relie les hommes que la compétition pure et dure, même s’il n’hésite pas à pointer sa rugosité, sans verser néanmoins dans des raccourcis faciles. La tension palpable de la course se reflète davantage dans le comportement au volant des participants que dans les dérapages des véhicules dans les lacets sinueux incrustés dans la route.

L’aisance de Takumi, sa décontraction, sa nonchalance contraste avec la nervosité ou la concentration presque forcée de ses adversaires. À travers un langage corporel très simple, les cinéastes décryptent le don de leur personnage, sa capacité à se transcender sans pour autant en faire trop. Et s’ils tombent par moment dans quelques travers démonstratifs, comme avec l’anecdote du défi imposé par le père de Takumi, Andrew Lau et Alan Mack tirent leur épingle du jeu en s’affranchissant des standards de l’action trépidante propre au genre pour mieux ancrer leur narration dans un quotidien beaucoup plus terne qu’à première vue.

Initiation accélérée ?

Il faut avouer que peu d’événements parviennent à extirper Takumi de son environnement morose ; la sortie idyllique avec Natsuki à la plage ne constitue qu’une échappatoire temporaire à sa réalité et sa relation avec la jeune femme est vouée à l’échec depuis le départ. Si la construction dramatique de l’ensemble pêche par maladresse, Initial D répond en revanche aux passages obligés du seinen d’origine et dépeint les errements d’une société avec tact mais sans éluder certaines questions. Ainsi, on est frappé par l’immersion dans la vie de Takumi et dans celle de son père, par l’addiction à l’alcool de ce dernier et par la frayeur du fils lorsque son géniteur heurte sa tête dans l’escalier.

Surtout, on est choqué par certaines réactions émanant de la tradition nipponne, notamment lorsque Natsuki approuverait presque les coups reçus par Takumi. Une autre conception du monde… pour mieux rétablir la connexion entre Takumi et sa voiture, la AE86. Toujours nommée, elle représente le véritable amour du protagoniste et le duo de réalisateurs valorise cette relation de manière bien plus efficace que celle entretenue entre Takumi et Natsuki. En ne s’acharnant pas sur les difficultés de communication des couples, les metteurs en scène s’ingénient à traiter de la fusion entre l’homme et la machine, par le prisme d’une attitude paisible et d’une fidélité à toute épreuve.

Or, Initial D puise son essence dans ces infimes détails, cette finesse certes toute relative et se différencie par conséquent des blockbusters pétaradants. Honnête série B, le long-métrage prouve que le cinéma de Hong Kong par le passé a brillé de mille feux (bien avant la Corée du Sud) grâce à des actioners survitaminés, des Wu xia décomplexés et des confections artisanales efficaces à l’image de celle élaborée par Andrew Lau et Alan Mack.

François Verstraete

Film hongkongais d’Andrew Lau et Alan Mack avec Jay Shou, Shawn Yue, Edison Chen. Durée 1h48. 2005. Disponible en Blu-Ray aux Éditions Carlotta

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