Ivan Zinberg, policier et écrivain

A l’occasion de la parution de son roman Matière Noire chez Cosmopolis, Ivan Zinberg a bien voulu répondre à nos petites questions. L’auteur, qui est d’abord officier de police, a marqué le public par la force d’un roman ancré dans le réel — au point que cela en est troublant ! — et dans les méandres de la ville. De la nuit. Des petits monstres qui l’habitent.

Entretien

Comment arrivez-vous à conjuguer votre passion de l’écriture et votre métier de fonctionnaire de police, ainsi que votre vie de famille ? 

Tout est dans la gestion du temps. J’écris ou réfléchis à mon futur roman absolument tous les jours, sans exception. Il n’y a aucun jour off. J’y travaille sur mon temps libre, les soirs, les week-ends, pendant les vacances. Surtout, la clé est de ne pas perdre de temps en futilités. Il n’est pas question de s’éterniser devant des séries Netflix ou des âneries à la TV, par exemple. Le petit écran est le pire ennemi des auteurs et surtout des apprentis auteurs, qui ne s’y mettent jamais ou ne vont pas au bout de leur projet car leur temps libre est dilapidé devant la TV, la plupart du temps. Personnellement, je vais devoir optimiser encore plus la gestion de mon temps, puisque je suis désormais en couple. Le célibat me permettait de bénéficier de longues plages de travail solitaire pour écrire, ce qui ne sera évidemment plus le cas.

Avez-vous un rituel d’écriture ? Quel est le moment le plus favorable à l’inspiration ? 

Pas de rituel ou de moment particulier. Je dois juste avoir au minimum un créneau horaire de deux heures pour écrire, le temps de rentrer pour de bon dans le texte et dans la peau des personnages. Le mieux, c’est quatre heures d’écriture, j’aime ce format. Pour Matière Noire, il y a toutefois eu une innovation. Je l’ai écrit entièrement… allongé. Avant, j’écrivais assis à un bureau, normalement. Maintenant, j’utilise un support de PC portable qui me permet de rester vautré dans mon canapé en écrivant, comme quand je lis un bon bouquin. Et c’est très confortable d’écrire allongé 🙂 Je vais renouveler l’expérience, d’autant que j’ai écrit de cette façon mon meilleur roman.

Le fait de devenir une figure publique ne comporte-t-il pas un danger plus important d’être reconnu dans vos fonctions ? 

Pas vraiment. Déjà, la formule « figure publique » me concernant est toute relative. Il faut savoir que même les romanciers les plus populaires – et j’en suis loin – ne sont pas très souvent reconnus dans la rue. C’est une réalité. Les acteurs ou les gens de télévision le sont, mais pas les auteurs, et encore moins les auteurs de polar, dont seuls quelques-uns ont accès aux médias audiovisuels. Pour ma part, en tant que policier/auteur, tout cela n’a pas beaucoup d’importance. Les voyous de toutes sortes, ceux de notre époque en tout cas, ne lisent pas, sont généralement peu cultivés et ne s’intéressent pas à cet univers. C’est aussi simple que ça. Tout ce qui concerne les livres, romans ou autre, leur passe complètement au-dessus de la tête. Je n’ai jamais vu de bibliothèque bien garnie en perquisition. Des jeux vidéo, des DVD, des tablettes, des écrans, oui. Des livres, jamais.

Quand et comment avez-vous franchi le pas pour devenir écrivain? Est-ce un rêve de longue date, une évidence, ou une opportunité qui s’est présentée ?

J’ai toujours aimé écrire et manié les mots. Enfant et adolescent, j’aimais les dictées, les rédactions et les dissertations. J’ai lu beaucoup de romans à cette période, du polar, du fantastique, des auteurs comme Dean Kootz ou Stephen King. J’ai commencé à analyser la construction des intrigues et j’ai finalement décidé d’écrire moi-même, assez naturellement. J’ai mis une dizaine d’années à concevoir mon premier texte (Jeu d’ombres, éditions Critic, 2014, réédition poche Points, 2015). Je l’ai soumis à plusieurs éditeurs et l’un d’eux a retenu le projet dans la foulée. Écrire n’était pas un rêve de longue date. On peut dire que c’est arrivé comme ça, instinctivement, quand j’avais vingt ans. Aujourd’hui, c’est devenu une véritable passion.

Quelles sources avez-vous à disposition et auxquelles vous aimez vous référer pour des questions techniques ou des domaines qui vous sont inconnus ?

Essentiellement des livres, tels que des biographies ou des ouvrages techniques, et bien sûr de la documentation internet pour compléter, notamment des articles de presse. Avec le web, on a tout à portée de main, c’est un outil magique. Je n’interroge presque jamais directement des professionnels car je n’aime pas déranger les gens et leur faire perdre du temps. Je préfère me débrouiller en solo, même s’il est exact que les vraies rencontres sont intéressantes pour gagner en authenticité. C’est pour cette raison que mes personnages sont directement inspirés de personnes réelles que je connais, que j’ai étudiées, ou que j’ai croisées dans le cadre de procédures judiciaires ou d’événements professionnels.

Il y a beaucoup de policiers qui passent à l’écriture. Quelles ont été vos motivations ?

J’ai écrit les premières lignes de mon premier roman bien avant de devenir policier. Donc l’envie d’écrire n’est pas née du métier de policier. J’avais déjà la volonté d’écrire des polars quand je n’avais pas encore intégré la boîte. Mais les deux ont un point commun : j’aime le côté obscur de la société, l’envers du décor. Être flic me permet d’observer le corps social au plus près. Écrire des romans me permet de le raconter au travers d’intrigues. Les deux sont complémentaires. J’aime beaucoup les romans écrits par des policiers. Dans les années 90, je lisais déjà des auteurs flics, comme Roger le Taillanter, que j’adore. Parmi les actuels, je citerais l’excellent Jean-Marc Souvira.

Dans le fin fond de la matière noire

Dans l’article de Boojum, il y a l’hypothèse que le duo Karim Bekkouche /  Jacques Canovas est proche de celui créé par Jean-Christophe Grangé, Karim Abdouf et Pierre Niémans. Comment réagissez-vous à ce rapprochement ?

C’est une bonne remarque. Moi-même en écrivant, je me surpris à la formuler. Le flic Beur issu des quartiers et le vieux briscard expérimenté. La comparaison s’arrête là. Dans les Rivières Pourpres, thriller culte que j’ai adoré par ailleurs, et qui m’a marqué à l’époque par son ambiance parfaite, les deux personnages, à tous les points de vue, ne peuvent pas exister dans la réalité. Leur enquête judiciaire non plus. C’est du romanesque pur. J’ai pris l’angle opposé dans Matière Noire. Personnages, univers et intrigue ultra-réalistes. J’ai laissé de côté les artifices classiques du thriller, comme le coup des jumeaux dans les Rivières PourpresMatière Noire s’appuie sur des procédures judiciaires et des faits divers authentiques.

Le personnage central de Matière noire n’est-ce pas la ville, ses parts d’ombres surtout ? 

J’ai voulu mettre en scène ma ville et ma région. On peut en effet considérer que la ville de Saint-Étienne en est le personnage central, même si on visite aussi d’autres coins, comme la Savoie et ses merveilleuses montagnes, où je vais très souvent. Matière Noire est un texte à la croisée du thriller pour le rythme, du polar pour l’enquête et du roman noir pour l’atmosphère. Et dans le roman noir, les lieux et leurs parts d’ombres sont fondamentaux. La toile de fond est de plus en plus importante à mes yeux dans mon approche de l’écriture romanesque. D’ailleurs, mon influence principale en polar est Michael Connelly, dont le talent est exceptionnel. Et l’on a coutume de dire que le personnage central de ses bouquins n’est pas l’enquêteur Harry Bosch, mais la ville de Los Angeles elle-même.

Matière noire est une vraie immersion, comme un reportage plus qu’un roman. Mais quelle part relève de l’expérience et quelle part de l’invention ? 

Difficile de donner un ratio précis, mais disons que la part d’expérience est majoritaire. Dans ce roman, je raconte la police, les groupes d’enquêtes, les interventions de la BAC ou les investigations telles qu’elles existent dans la réalité. Je force parfois le trait pour le côté efficacité romanesque, mais l’ensemble repose sur un socle ultra-réaliste d’affaires ou de séquences réelles que j’ai vécues ou dont j’ai entendu parler. Le terme « immersion » est effectivement le bon mot. Le réalisme documentaire est passionnant quand on le découvre en tant que lecteur. Je lisais une chronique de Matière Noire un peu plus tôt aujourd’hui, dans laquelle la blogueuse écrivait : « C’est l’une des premières fois que je referme un thriller en me demandant où se situe la frontière entre fiction et réalité. » J’apprécie ce commentaire. C’est exactement le genre de ressenti que je souhaitais obtenir.

Il faut combien de temps pour extraire de quoi composer cette matière noire sans y choir soi-même  ?

Je portais ce roman depuis un certain temps déjà. Pour un romancier, en tout cas pour moi, les idées sont nombreuses, mais les bonnes idées sont beaucoup plus rares. Tant de choses ont déjà été écrites. Il n’est pas question de reproduire à l’identique des romans déjà faits des centaines de fois. Il faut trouver le bon angle, la bonne matière pour proposer un sujet intéressant. Je voulais raconter la vie de commissariat au travers d’une histoire très actuelle et ultra-réaliste de tueur en série, sans surenchère, sans clichés, et localiser le tout dans ma ville et ma région. C’était le cahier des charges de départ. Je l’ai établi il y a deux ou trois ans et j’ai laissé mûrir l’idée. J’ai mis trois ou quatre mois pour créer l’histoire et les personnages, puis une année à écrire le texte, corrections et relectures comprises. Écrire un roman, surtout un polar complexe de 450 pages, est un marathon, un parcours du combattant. Mais il n’y a rien de plus passionnant. J’encourage tout le monde à écrire.

Propos recueillis par Loïc Di Stefano et Minarii Le Fichant

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