TED, le roman de l’incarnation du Mal par Pierre Rehov

Comment le Mal se propage-t-il ? Tel pourrait être le projet du roman de Pierre Rehov, Ted. Projet qui consiste à tracer deux lignes et les faire se rejoindre à l’infini, comme deux parallèles du Mal. La folie d’un homme et la folie d’un système politique. Où comment faire se rejoindre les mondes opposés (individu vs nation, URSS vs USA, etc.) dans une vision globale.

La folie d’un homme

Ted Bundy, qui se dit imprégné par une entité ayant contrôle sur lui. Un démon. C’est lui qui l’aurait forcé à commettre ces crimes si nombreux et odieux. L’un des pires tueurs en série de tous les temps serait donc une victime ?

Ted s’ouvre sur la discussion entre Ted Bundy et le prêtre venu recueillir ses dernières paroles. Et si possible le confesser. Le gendre idéal (bel homme, très travailleur, très instruit), est dans sa cellule, à la veille de son exécution capitale (le 24 janvier 1989), a d’autres projets. S’il a reconnu trente victimes, certains spécialistes lui en attribuent au moins une centaine. Et la nature de ses crimes eux-mêmes est effroyable : viols, meurtres, anthropophagie, nécrophilie… Pourtant Ted veut discuter de la réincarnation car il se présente comme la victime d’une entité démoniaque ayant pris le contrôle de son corps et l’obligeant à commettre ces atrocités.

Est-ce une tentative désespérée d’obtenir la grâce ou un nouveau pied-de-nez à la justice des hommes ? Quoi qu’il en soit, il utilise ces derniers moments pour retracer son parcours et la genèse de l’emprise du démon. Ses crimes s’accumulent, s’enhardissent, se diabolisent.

La folie d’un système

Quand un système politique a peur de sa propre population, c’est signe d’un névrose obsessionnelle rare. Dans l’Union Soviétique de Staline, Timofey Bogaïevski, éminent scientifique, qui entretien une correspondance avec Einstein, Plank ou Schrödinger, part à un congrès universitaire. Il lui arrive une série de petits malheurs qui vont le conduire au pire des lieux, l’île maudite de Nazimo (1). On lui vole son portefeuille, aussi ne peut-il plus justifier de son identité. Mais quand il donne son nom aux gardes de la milice, qui recrutent souvent des brutes bornées, son nom rappelle celui d’un ennemi de la nation, Afrikan Bogaïevski (1873-1934). Cela seul suffit à faire de lui un suspect. Quand bien même il serait innocent, la « machine infernale » s’est mise en route et il doit reconnaître ses fautes… Le Parti, la Politique du grand Staline, les affidés brutaux ni les gestionnaires ne peuvent s’être trompés. L’absurde de la machine administrative bat son plein !

Le chemin inexorable pour lui, et sa famille, est d’être le jouet d’une logique inhumaine dont l’absurdité interne ne doit pas être montrée, sous peine de faire effondrer tout le système-même. Ainsi la folie se nourrit-elle d’elle-même. Ainsi les innocents sont-ils entassés avec les criminels et, au final, les savants devraient moins résister que les brutes.

Comme un grand roman de l’âme humaine

On comprend vite que Pierre Rehov joue avec les principes de la physique quantique dont on suit les développement. Ainsi, le Mal, tout comme le chat, sont ici et là à la fois. Et Ted laisse, en s’achevant, la sensation d’avoir lu un vrai grand livre sur le XXe siècle. Mais aussi une très impressionnante étude de l’âme humaine. Ce qui est le signe d’un grand roman. Il y a des personnages secondaires magnifiques, comme le rabbin qui accompagnera Timofey Bogaïevski dans son terrible voyage et partagera avec lui la beauté de discussions savantes au cœur même de la pire hideur. Il y a une écriture qui emporte, une ambiance qui convainc, une thématique qui ne cesse de choquer. Mais quel bouquin !

Loïc Di Stefano

Pierre Rehov, Ted, La Mécanique Générale, 473 pages, 9,90 eur

(1) Cette île a inspiré un autre thriller récent, L’île du Diable de Nicolas Beuglet.

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