Jack Jakoli, La Détresse des roses

Des lieux glauques, parfaits cependant pour recevoir des morceaux de corps. Dans des sacs poubelle. Comme un puzzle. Jeu auquel semble s’amuser le tueur en série mis en œuvre dans La Détresse des roses, polar implacable et poisseux de Jack Jakoli.

Le dépeceur de Mons

Le fait est réel, aussi ignoble soit-il. Entre 1997 et 2001, dans la région de Mons en Belgique, des morceaux de femmes sont retrouvés, dans des sacs poubelle. Un tueur en série rôde, et la presse en fait le dépeceur de Mons. La cellule Corpus, dédiée intégralement à cette affaire, est mise sur pieds. Cinq victimes, des morceaux de femmes éparpillés dans des dizaines de sacs poubelles… Mais à ce jour l’affaire reste non résolue.

C’est la matière première du roman de Jack Jakoli. Son premier roman, Entre le paradis et l’Enfer (1) avait aussi pour fond un fait réel. Jakoli est enquêteur à la police fédérale, la crim’ belge, et il connait bien le dossier, de l’intérieur. Pourtant, La Détresse des roses n’est pas un true crime, c’est un vrai roman, tout son talent à servi à s’extraire du réel pour y poser une trame romanesque autonome, solide, crédible, et parfaitement maîtrisée. Et de faire un retour réel cette fois sur les enquêteurs pris au dépourvu.

Une œuvre d’art

Pourquoi découper des femmes ? La réponse est simple : créer une œuvre d’art. Voilà ce qui occupe l’esprit du criminel après qui Mélanie Penning courre. Cette jeune enquêtrice à la brigade criminelle doit s’imposer dans un milieu très masculin. Assez mal reçue à son arrivée, misogynie de caserne, même si son supérieur reconnaît ses qualités, elle doit se battre contre ses collègues, contre les procédures implacables, et contre elle-même, ses peurs. Sa peur, surtout, pour sa petite sœur qui aime à sortir la nuit et dont elle a la garde, depuis la mort de leurs parents… Alors consacrer tout son temps et toute son énergie à traqueur tueur de femmes, rien de mieux pour faire taire ses démons.

D’échec en échec, l’histoire avance en se resserrant inexorablement sur un tueur qui toujours s’échappe. Comme s’il s’agissait d’une légende urbaine plus que d’un homme. Pourtant les corps sont bien là. Et la détresse s’empare de la population, des femmes qui ont peur… et des enquêteurs, au plus près desquels se tient le lecteur. Décidant de raconter de l’intérieur une histoire connue et qu’on sait inachevée, Jack Jakoli a misé sur la proximité pour faire passer son message. Car si l’échec est avéré, ces fichues procédures contraignent les enquêteurs dans un carcan qui leur interdit de faire confiance à leur sixième sens, et ne pas creuser des pistes qu’ils estiment potentiellement fructueuses. La détresse, autre nom de la frustration.

Prenant avec talent un événement qui l’a marqué personnellement, à plus d’un titre, Jack Jakoli fait le roman d’une enquête plus que d’une chasse à l’homme. La Détresse des roses est un grand roman hommage aux enquêteurs qui subissent les pressions de tous les côtés et restent dignes dans leur propre souffrance. Qu’on connaisse l’affaire n’y change rien, puisque c’est d’abord l’histoire des hommes et des femmes qui doivent se coltiner le cauchemar du réel, d’une chasse bridée par les règles qui avant tout les contraignent. Et Mélanie, dans tout ce chaos, est un personnage plus qu’attachant, fort, qui reste. Ce roman est une vraie réussite.

Loïc Di Stefano

Jack Jakoli, La Détresse des roses, J’ai lu, février 2024, 416 pages, 8,80 euros

(1) Entre le paradis et l’Enfer (j’ai lu, novembre 2022), initialement paru sous le titre La Catabase (Éditions IFS).

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