Superman : avis sur la mauvaise pantalonnade de James Gunn
Fidèle au message de ses parents kryptoniens, Superman s’évertue à aider l’humanité, quitte à s’immiscer dans les conflits entre nations. Sa dernière action en date lui vaut l’inimitié du milliardaire Lex Luthor, qui a juré de précipiter sa perte. Il piège sa némésis, qui devra compter sur le soutien d’autres métahumains et de sa chère Loïs Lane pour s’extirper d’une situation périlleuse.

Il était une fois une adaptation sur grand écran d’un comic book mondialement connu, qui posa les bases d’un genre désormais incontournable, démontrant au passage le savoir-faire d’un habile. Il s’agit évidemment de Superman signé Richard Donner, sorti aux États-Unis en 1978, un long-métrage qui marqua son époque, maintes fois imité, mais jamais égalé (ou uniquement par le Spider-Man 2 de Sam Raimi). Son aura perdure toujours aujourd’hui, si bien que les différentes versions proposées par la suite par Bryan Singer et Zack Snyder ne se sont jamais hissé au niveau de leur modèle en termes de mise en scène.
Pire encore, l’univers imaginé par Zack Snyder aura engendré son lot de controverses, divisant le public et entraînant dans sa chute, le studio Warner et la branche DC. Après des débuts prometteurs en salle, la franchise du DCU a essuyé de nombreux revers qui ont amené l’entreprise à revoir ses plans, quitte à balayer le travail du cinéaste. Par conséquent, la firme fit appel à l’un des poulains de l’écurie concurrente (Marvel Studios) à savoir James Gunn, afin de redorer son blason et insuffler un poil de cohésion à sa licence.
Intronisé nouveau patron de DC, le réalisateur s’échine depuis à repenser totalement le concept et lance à cet effet, plusieurs séries et films, à commencer par une énième mouture des aventures de Superman, dont il se charge en personne. Il promet de revenir aux sources de la légende, en s’appuyant sur le travail de Richard Donner. Cette déclaration, loin d’être passée inaperçue, suscite moult espoirs (notamment celui de sauver la saga), mais également pas mal d’interrogations. James Gunn au style polisson, voire paresseux, peut-il accoucher d’une œuvre aussi forte que celle de Richard Donner ? Une question délicate à laquelle il répond très rapidement par la négative.
Dans la lignée de Richard Donner ?
Les notes réarrangées du thème de 1978 composé par John Williams ont beau jouer sur la fibre nostalgique de quelques vieux admirateurs, elles ne compensent pas le sentiment d’arnaque éprouvé dès les premières minutes à l’écran et une scène présentée dans les grandes largeurs à l’avance sur les réseaux sociaux pour appâter le quidam. Toutes les caractéristiques formelles propres à James Gunn se retrouvent dans ce faux morceau de bravoure ; violence aveugle, humour graveleux, ostentation percutante.
Avec ces armes, il a d’abord surpris et séduit lors de ses premiers essais (Super et Les Gardiens de la Galaxie) avant d’agacer puis de sombrer avec les deux autres opus consacrés à la bande de Starlord et surtout, The Suicide Squad. Des exercices bavards, éreintants et même pas amusants, sabordant leur sujet. Tout le contraire de la méthode adoptée par Richard Donner, imprégnée des vertus néoclassiques d’antan, il est vrai bien aidé par sa distribution au diapason (ah Gene Hackman, Marlon Brando, Glenn Ford).
Richard Donner empruntait à l’humour décapant de Blake Edwards ou d’Howard Hawks, tout en pratiquant la litote. James Gunn, quant à lui, préfère déployer une approche brut de décoffrage, racoleuse et illustrative, voire répétitive, en couplant l’action à la parole (je sauve tout le monde et je le démontre ensuite) tandis que Donner suggérait, pour mieux valoriser les exploits homériques de son protagoniste. Certes, James Gunn a saisi le principe solaire de son héros, sa candeur ainsi que la nature christique (en soulignant bien, tout comme Snyder, qu’il est âgé de trente-trois ans) … mais il travestit complètement les ressorts inhérents à son mythe.
Une insulte au mythe
Le souci ne réside même pas dans les écarts avec le matériau dessiné bien qu’ils soient parfois incompréhensibles, tel celui de l’adversaire envoyé par Lex Luthor, amalgame raté de deux antagonistes célèbres de l’Homme d’Acier. On pourrait faire fi de la satire politique dénuée de toute subtilité (Lex Luthor en Elon Musk mal dégrossi acoquiné avec un Poutine ridicule). Et on pardonnerait presque le pseudo twist concernant le fameux message qui guide le kryptonien et qui contredit d’ailleurs tout un pan de l’histoire du super-héros ainsi que le film de Richard Donner.
En revanche, il s’avère impossible d’embrasser la posture de James Gunn, visant à crédibiliser la préservation de l’identité secrète du personnage, en prétextant qu’il utilise une paire de lunettes hypnotiques ! En s’appuyant sur cette excuse aussi grossière que ses blagues, le cinéaste omet ce qui définit l’essence de la fonction de Clark Kent/Superman, ce qui justifie sa quête prophétique, bien au-delà du calvaire christique, de sa mise au pilori sans nuances. Il est vrai que le subterfuge des lunettes a été souvent critiqué et taxé de stupide.
Pourtant, il se pose en élément clé, Clark Kent n’est qu’un costume que Kal El/Superman endosse pour se fondre parmi nous et éprouver les mêmes joies et peines qu’un humain. Or, les terriens ne pensent pas que l’extraordinaire les côtoie au quotidien, sous les traits d’un journaliste faussement introverti, qui puise dans cette expérience pour grandir. La vérité, aussi flagrante qu’elle soit, ne se dévoile au grand jour que parce que Clark le décide et que le regard adulte et cartésien n’ose envisager l’inconcevable. Alors que le réalisateur se concentre sur l’optimisme et sur l’espoir symbolisé à la base par le S de la famille El, il omet totalement ce qui nourrit au départ ce dispositif moral.
Récit anarchique
On regretterait de fait, presque l’absence de chapitre dédié aux origines, aspect prépondérant chez Richard Donner et chez Zack Snyder. Beaucoup loueront la démarche de James Gunn qui s’en affranchit, arguant qu’elles appartiennent au patrimoine culturel et ne méritent plus d’être revisitées, puisqu’il devient compliqué d’ajouter quelque facette innovante à cette entreprise risquée. Toutefois, s’y attarder aurait permis, comme d’habitude, de dessiner les contours psychologiques de Superman, en lieu et place d’un portrait établi à coup de répliques réductrices lors d’un entretien entre le héros et sa bien-aimée.
Qui plus est, un quelconque rappel des origines aurait structuré le récit. La narration tellement décousue (dans la veine de celle catastrophique de Black Adam, c’est dire) et au fil conducteur morcelé noie sa galerie de personnages, si bien que le spectateur peine à s’attacher à Guy Gardner et consorts. James Gunn ne parvient jamais à renvoyer une représentation sincère de tout ce petit monde, des parents Kent à la rédaction du Daily Planet. Et quand il offre quelques minutes de répit, c’est pour mieux s’enfoncer dans un flot d’incohérence totale, à l’image de cette conversation entre Loïs et un Clark qui snobe ses alliés en arrière-plan, aux prises avec une créature extraterrestre.
On le craignait dès l’annonce de sa nomination derrière la caméra , le réalisateur échoue tandis que ses travers affleurent ; il préfère s’amuser avec ses nouveaux jouets comme Krypto à l’écran, quitte à ridiculiser son bébé ou à se ridiculiser en imitant Richard Donner avec cette scène romantique durant laquelle Clark embrasse Loïs tout en s’envolant. Ce passage à la poésie forcée n’émeut pas en raison d’une absence d’authenticité. Ne reste alors pour préserver ce long-métrage du naufrage total, qu’un enfant brandissant un drapeau à l’effigie des L, face à l’avancée de soldats ennemis.
Quelques secondes miraculeuses qui rappellent ce qu’aurait dû/pu être le film avant de se transformer en lourde mécanique anarchique, censée sauver le DCU, mais avant tout au service de l’orgueil de son auteur. Navrant et désolant.
François Verstraete
Film américain de James Gunn avec David Corenswet, Rachel Brosnahan, Nathan Fillion, Nicholas Hoult. Durée 2h09. Sortie le 9 juillet 2025.