Jean-Michel Delacomptée, La Bruyère, portrait de nous-mêmes

Il fallait que ce grand portraitiste qu’est Jean-Michel Delacomptée se mesure au plus fameux d’entre eux. Discret observateur des moeurs de son temps, La Bruyère est devenu

Le mystère La Bruyère

Homme effacé, affecté à des charges mineures quoique rattaché à la maison du Duc de Bourbon, on ne sait de La Bruyère quasiment rien. Et de son œuvre unique ne reste pas non plus la moindre trace manuscrite. On sait qu’il fréquenta Boileau, auquel il soumit son œuvre. On sait qu’il évolua protégé par l’ombre de l’immense Bossuet. On sait qu’il fut l’ami de La Fontaine et correspondit avec les lettrés de son temps, mais ne subsistent que vingt-sept lettres… C’est comme si l’époque avait engendré un témoin invisible, un portraitiste sans son propre portrait…

Publiés en mars 1688, Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle, « cette fresque d’un monde hideux où le burlesque le dispute à l’indigne », remportent un succès immédiat. C’est sous anonymat que La Bruyère publia d’abord ses remarques, qu’il étoffa au fur et à mesure des nombreuses rééditions : il fallait échapper à la censure, aux nombreux pouvoirs (roi, Eglise, etc.), d’autant plus menaçants pour un homme de cour, même de second rang. Modeste, même après sa renommée, La Bruyère était le plus à même des hommes à rendre compte des petites misères de ses contemporains.

C’est à partir de son accès au coeur de la caste aristocratique qu’il se forge de l’humanité l’opinion sobrement nourrie de sa sensibilité exacerbée, à travers le prisme du théâtre absurde et dérisoire dont l’examen en prise immédiate lui fournit la galerie de personnages odieux ou misérables qu’il se délecte à peindre. »

Reflet d’un temps, reflet intemporel 

Si les Portraits sont à l’usage de son temps, ils sont aussi du nôtre. Et plus que l’histoire d’un homme, c’est l’histoire d’un livre, si particulier, qui nous est ici contée. Un style inimitable quoique souvent plagié, des éditions successives toujours revues et augmentées, Les Caractères sont vivants ! 

La sublime langue de La Bruyère — signalons que celle de Jean-Michel Delacomptée est d’une grande élégance aussi — est gage de cette intemporalité. Ces textes courts, ciselés avec un soin rare, s’imposent avec une belle simplicité. La Bruyère pensait qu’il n’y avait qu’une façon pour exprimer une chose et s’employait à polir son ouvrage.

Cette nature même du texte de La Bruyère permet à Jean-Michel Delacomptée de dénoncer les travers et les ignominies de son époque, la nôtre, pourrie par la bienveillance et la vacuité.

Vivant, passionné, passionnant, La Bruyère de Jean-Michel Delacomptée est un livre exaltant, qui va conduire à (re-)lire cette œuvre phare.

Loïc Di Stefano

Jean-Michel Delacomptée, La Bruyère, portrait de nous-mêmes, Robert Laffont, « Les passe-murailles », août 2019, 216 pages, 19 euros.

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