Jean Rollin, cinéaste écrivain : un artiste à redécouvrir

Si j’étais écrivain, et morte, comme j’aimerais qu’un lecteur consacre à mon maigre labeur un livre-frère de celui que Pascal Francaix a offert à son ami et guide Jean Rollin. 

 Jean Rollin, avec deux l, comme les ailes de l’ange de la Visitation et de la mort et non un comme son presque homonyme Jean Rolin, lauréat du prix Albert Londres, du Médicis et du prix Ptolémée…  Par deux fois encore, du prix de la Langue française.

L’autre Rollin, nettement moins bel homme, lauréat d’aucun autre prix que ceux de la Vocation et de la Persévérance, fut écrivain cinéaste, rêvant et donnant vie à ses songes.

Parcours de vie

Né Jean Michel Rollin Roth Le Gentil, en novembre 1938, mort le 15 décembre 2010, le fils de Claude Martin, militant communiste, résistant, metteur en scène de théâtre et d’un modèle pour peintres, fut, enfant, lié à Bataille et Blanchot, avant de devenir l’un des rares cinéastes français, le seul peut-être, à tenir jusqu’au bout du voyage le pari ou défi du surréalisme, concevant la pratique de son art comme invitation au voyage au voyage intérieur. Invitation à la dérive :

Au fil du rêve et de l’imaginaire, errance buissonnière sur les chemins de traverse de la mémoire recomposée, l’œuvre de Jean Rollin nous ouvre au confluent du fantastique et du surréalisme, les voies d’une émancipation totale, hors des contraintes de la raison sclérosante et d’une logique caduque.

Pour les uns, le Ed Wood français, pour d’autres, un vulgaire cinéaste de genre (pornographe en plus) et pour Françaix presque seul, sans doute le dernier cinéaste surréaliste depuis la défection de Buñuel.

Si j’étais écrivain, et morte, j’aimerais qu’un lecteur d’exception reconduise le vulgaire au seuil de ma chambre mortuaire et lui révèle le motif du tapis.


Selon Françaix, le motif de Rollin, né à la veille du désastre de 1940, serait une enfant morte. Une enfant, qui, sans se lasser, revenait – il l’avait de ses yeux vue -, chaque jour, au jardin du Luxembourg regarder tournoyer le manège de la Vie. Aussi, au lieu de s’évertuer à placer les anneaux sur leur tige et à gagner le pompon, lui, l’enfant Rollin, le petit Jean, n’avait d’yeux que pour la petite morte au cerceau et fait vœu, fantasmagorie devenue le projet d’une vie, de ne jamais l’oublier. En effet, Rollin a dédaigné le mât de Cocagne de la célébrité, pour toute sa vie, sur le papier et la pellicule, inlassable, poursuivre, sur la page vierge du livre et l’écran où l’éphémère se fait éternité, le reflet d’une enfant. 

A chaque fois que je passais devant le distributeur d’anneaux, je pouvais voir, parmi les parents qui attendent en surveillant leur progéniture, une petite fille en manteau gris clair qui semblait suivre mes évolutions. Moi, je ne la quittais pas des yeux, préférant la regarder plutôt que de décrocher les anneaux. 

Peut-être Sarkozy, imaginant un bref instant de charger chaque écolier de France de la mémoire d’un enfant du Vel d’hiv ou de quelque misérable gamin capturé – Au revoir les enfants – au sein d’une salle de classe ou au hasard d’une traque forestière, rêvait-il, à son insu, de faire de chaque future brute un artiste véritable ?

Sublimer, à tout prix

 Je divague à dessein.  Françaix et Rollin, libérateurs de la seule véritable libre pensée, gardiens inattentifs des portes de corne et d’ivoire du songe, m’y autorisent.  Pour devenir ce rare poète, il a fallu que Rollin arpente sa paramnésie : champ libre offert à la faculté de rêver, devenue la condition de possibilité d’exercice de son art, sans trucages ni faux-semblants dans le plus factices des univers qui se puisse, le domaine du fantastique et de l’érotisme, prés carrés soumis aux lois les plus formelles et les plus contraignantes.

Le moyen de ne plus brûler du désir de lire et de voir les textes et les films d’un homme qui a unit les recherches de James Joyce et de Thomas Bernhard au “courant feuilletonesque “ où s’aventura et s’illustra, pionnier, Gaston Leroux, l’auteur auquel Rollin consacra son premier essai.

A lire Françaix, nous mourons du désir de suivre les figures et les personnages dans l’intermonde, le long des presbytères qui n’ont rien perdu de leur charme et le jardin de leur éclat, au fil des allées des cimetières dont les noms, sur les pierres tombales, déjà s’effacent, nos pas dans les pas des disparues. A notre tour de pleurer sur les sauvages capturées, domestiquées, souillées et avilies par la science et la bienséance. Rollin passe pour libertaire, est-il besoin de le dire, pour cela qu’il filme infantes et jeunes filles, disparues ou renonçantes de l’aube, rendant au cinéma son statut initial, premier, de frère du rêve afin d’offrir à toutes ces mortes avant le temps, une nouvelle vie cette fois-ci éternelle :  une vie où elles iraient, libres à jamais dans l’éblouissante clarté de la sauvagerie que le monde n’a su tolérer, tentant de  plier instinct et plaisir aux lois de l’érotisme,  au lieu de lui laisser libre cours.

Plus qu’un simple disciple de Bataille, Rollin appartient à la génération d’un Pierre Clastres et d’un Michel Foucault.

Laissons le charme et lui seul opérer au lieu de l’enfermer dans une idéologie, l’autre. 

J’ignorai, quand j’ai ouvert ce livre, jusqu’au nom, l’existence de Rollin. Aussi, si je parvenais à donner à mon lecteur le désir de découvrir et l’auteur et son sujet d’études, l’ouvrier, son maître et son œuvre, j’aurais atteint mon but.

Je voulais aussi saluer en Pascal Françaix le modèle du critique : précis, humble, discret, délicat, en un mot, savant sans s’en prétendre et averti sans pédantisme, un homme qui ne se risque à montrer son travail, qu’une fois sa recherche achevée, l’ayant mâchée tant et tant de jours durant que le motif secret s’y dévoile, sans maniérisme et sans éclat de manche, dans la lumière paisible de l’entendement, faisant de chaque phrase l’occasion d’une invitation à la pensée, la rêverie. 

Un livre à lire et à relire comme on va et revient, cinéphile, dans une salle obscure, certain d’y trouver la lumière.   

Sarah Vajda

Pascal Françaix, Jean Rollin, cinéaste écrivain, Editions Films ABC, 161 pages, mai 2006, 24 euros  

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