Les soliloques du pauvre, poésie populaire

Un poète méconnu

Si la poésie française des XIXe et XXe siècles a ses géants, certains auteurs sont tombés dans l’oubli. C’est le cas par exemple de Jehan Rictus (1867-1933), poète rare et chansonnier d’occasion, qui connut une certaine célébrité durant la belle époque. Habitué de Montmartre, des clochards et des anarchistes, Jehan Rictus écrit sa poésie en utilisant une langue populaire, tranchée, rythmée mais loin des préciosités du Parnasse. Les deux recueils de Rictus, Les Soliloques du pauvre et Le Cœur populaire sont ici rassemblés en un seul volume.  

La voix des pauvres et des sans-grades  

Quand j’ pass’ triste et noir, gn’a d’ quoi rire.

Faut voir rentrer les boutiquiers

Les yeux durs, la gueule en tir’lire

Dans leurs comptoirs comm’ des banquiers

Avec Jehan Rictus, le peuple a la parole si on peut dire. À notre époque, on le qualifierait volontiers de populiste, lui qui fréquenta les anarchistes puis les militants de l’Action Française. Surtout que sa langue, comme on l’a dit, est celle des prolos de l’époque dont il essaie de retranscrire l’accent et le rythme. Et notre homme a de l’ambition avec « Le Revenant », grand poème où il imagine le retour de Jésus lui-même. Et on est loin de l’opulence :

Il est v’nu su’ moi et j’y ai dit :

— Bonsoir… te v’la ? comment, c’est toi ?

Comme on s’ rencontr’… n’en v’la d’eun’ chance !

Tu m’épat’s… t’es sorti d’ta Croix ?

Ça n’a pas dû êt’ très facile… Ben… ça fait rien, va… malgré l’ froid

Malgré que j’soy sans domicile,

J’suis content d’ fair’ ta connaissance »  

Avec Jehan Rictus, Jésus est l’homme du peuple, rien à voir avec la richesse du haut clergé ou du pape dont il se moque avec délectation (rappelons que l’époque est à l’anticléricalisme). On se réjouit, on pleure avec lui, ainsi soit-il. Il faut tenter ce voyage au bout de cette langue oubliée aujourd’hui, car la poésie y vit, nichée au cœur de ces mots qui sentent bon le populo.  

Sylvain Bonnet

Jehan Rictus, Les Soliloques du pauvre, édition de Nathalie Vincent-Munnia, préface de Patrice Delbourg, Gallimard, « poésie », novembre 2020, 400 pages, 9,50 eur

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