Journal du premier ambassadeur de France à Kiev 1990-1993 d’Hugues Pernet

Journal du premier ambassadeur de France à Kiev 1990-1993 est un témoignage peu banal. Le diplomate Hugues Pernet, en poste comme consul à Kiev, puis ambassadeur, dans les trois années qui ont vu la chute de l’URSS et l’indépendance de l’Ukraine. Un document qui tombe dans une actualité marquée par cette guerre qui a éclaté en février 2022, une guerre qui paraît sans fin. Qu’en était-il au début des années 90 ?

Un passé étrangement lointain

Hugues Pernet ressuscite une époque et un pays disparu, l’URSS à un moment fatidique. La France décide d’ouvrir un consulat à Kiev juste après la chute du mur de Berlin, avec des craintes concernant la libéralisation de l’URSS. Hugues Pernet, après des hésitations qu’il raconte avec humour, accepte la proposition et part là-bas, fort de l’expérience acquise à Moscou de 1974 à 1976 et de 1984 à 1987. S’il est familier du fonctionnement du pays et de l’omniprésence des services de sécurité, il découvre une Ukraine qui, petit à petit, fait craquer le carcan qui l’emprisonne. Nationalistes et PC ukrainien expérimentent leurs marges de manœuvres, débattent et font des revendications à un centre de plus en plus handicapé. C’est vraiment la fin de l’URSS qui, du temps de sa splendeur, n’aurait jamais accepté un tel mouvement.

Des débats actuels

S’il ne connaît pas l’ukrainien, Pernet parle russe et réussit à parler avec les officiels dont le futur président Leonid Kravtchouk. Il déploie par exemple beaucoup d’efforts pour lui organiser une visite en France au moment où le gouvernement de François Mitterrand cherche à ménager Gorbatchev. Il décrit surtout avec un certain brio les débats qui traversent la fin de l’année 1991 et l’année 1992 sur les futures relations entre Russie et Ukraine. La question des armes atomiques présentes en Ukraine angoisse les dirigeants occidentaux mais on s’aperçoit qu’on parle déjà de la Crimée russophone, région qui se prononce le moins favorablement à l’indépendance. A Moscou, certains réclament (déjà) une rectification des frontières pour récupérer cette région ainsi que le Donetsk.

Surtout, les débats autour de la CEI montrent que la Russie d’Eltsine avait comme but de garder une union, plus ou moins lâche, avec l’Ukraine alors que les dirigeants de ce pays, soutenu par les États-Unis (mais pas l’Europe), voulaient leur indépendance entière tout en reconnaissant les liens économiques existants. L’invasion de 2022 n’est donc pas seulement la volonté d’un seul homme mais une tendance lourde au sein des élites russes…

Un livre palpitant, en partie due à l’insistance de la récemment décédée Hélène Carrère d’Encausse à qui je me permets de rendre ici un hommage…

Sylvain Bonnet

Hugues Pernet, Journal du premier ambassadeur de France à Kiev 1990-1993, Flammarion, mars 2023, 330 pages, 23,90 euros

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