«Kiosque » de Jean Rouaud

Au commencement était le kiosque

Rentrée littéraire 1990, paraît aux éditions de Minuit Les Champs d’honneur, premier roman dont on a apprend, non sans sourire (1), que l’auteur est kiosquier, qu’il voit défiler la vie et ses variations infinies devant lui chaque matin. Maintenant que son parcours littéraire est reconnu et d’importance, Jean Rouaud publie Kiosque, comme un bilan, comme une pirouette, comme un clin d’œil.

Car tout porte à croire que Jean Rouaud s’est bien amusé en écrivant ce Kiosque, qui fourmille d’anecdotes et de figures savoureuses. L’histoire est simple, elle raconte la vie d’un marchand de journaux, à Montmartre, dans un modeste édicule sans chauffage ni toilettes : « l’habitacle relevait de la capsule spatiale, l’apesanteur en moins ». Jusque là, rien d’extraordinaire. Puis ça se corse avec l’arrivée des premiers clients du matin, la jolie dame embijoutée qui réclame son Figaro, le chômeur plein de malice qui attend l’Huma Dimanche, la jeune femme enceinte fascinée par Paris Turf.

Une galerie de portraits défile ainsi, tel ce vieil anarchiste « avec sa mise assyrienne, barbe et cheveux longs », ou l’inévitable pochard du quartier, qui s’insurge contre la Pyramide du Louvre, après avoir vilipendé Beaubourg.  Au fil des pages, c’est le Paris des années Mitterrand qui resurgit, gouailleur et bon enfant, terriblement sympathique. Les conversations vont bon train devant l’étal des magazines, quoique parfois discrètes,  quand il s’agit de demander le Gai Pied, ou telle revue érotique. Mais plus vives et libertaires pour commenter l’actualité, à la manière de bons chansonniers. 

Jean Rouaud n’oublie pas qu’un kiosque est une maison de lecture, on y parle donc de Claudel aussi bien que de Kit Carson, d’Hérodote ou de Bibi Fricotin. On y croise aussi Tintin, et le fameux tombeau de Kih-Oskh, enterré dans les sables d’Egypte avec les cigares du pharaon, et dont l’heureuse homophonie ne pouvait  pas échapper à un kiosquier. 

Le livre perd un peu de son entrain vers la fin, baisse de rythme justifiée par le ton galopant des 150 premières pages. Mais ce marchand de journaux reste un observateur bigrement perspicace de ses contemporains, et ce kiosque, un miroir amusé de notre société. Certes, Paris n’est pas la France, mais le petit peuple de la rue de Flandre est un concentré joyeux d’une humanité qui se retrouve partout ailleurs, avec ses mots, sa drôlerie, ses immigrés, ses colères.

Un tel kiosque ne serait-il pas le lien social idéal, dont le rôle est si bien tenu par le Café du Commerce ?

Didier Ters

Jean Rouaud, Kiosque, Grasset, 280 pages, janvier 2019, 19 eur

(1) Ce même sourire que montrait déjà Le Pion (film de Christian Gion, 1978), où Bertrand Barabi (joué par Henri Guybet), simple surveillant d’internat reçoit le prestigieux Prix Goncourt…

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