Nadia Daam, La Gosse, ou l’amour incommensurable d’une mère
Nadia Daam s’intéresse à la question de la parentalité et au féminisme. Avant d’avoir été chroniqueuse pour « Les maternelles » sur France 5, elle a co-écrit en 2008, avec Emma Defaud et Johana Sabroux, Mauvaises mères : la vérité sur le premier bébé dans lequel elle déconstruit le mythe de la mère parfaite et de l’épanouissement maternel. C’est le sujet de son récit, La Gosse.
l’objet de sa curiosité et de son amour incommensurable
La gosse, c’est cette chose qui nous colle aux basks, qu’on se traîne partout, même quand elle n’est pas là. Une sorte de chewing-gum physique et mental qui nous bousille la mâchoire parce qu’on ne pourra jamais le recracher…
La gosse ! C’est cette chose foutrement collante dont on est responsable à vie (même quand on voudrait n’être responsable de rien) et qu’on aime plus que tout au monde. Un résidu de soi qui répand joyeusement toute sa supériorité et qui démonte allégrement toute la nôtre.
La gosse, c’est ainsi que Nadia Daam nomme sa fille, pour mettre à distance l’objet de sa curiosité et de son amour incommensurable. Parce que c’est une vraie chose curieuse d’être mère ! Mère d’une fille ! On se trouve face à un miroir qui grossit la réalité en ne la déformant que très peu. Tout d’un coup, on voit tout ! Foutu miroir !
La gosse, ce sont tous ces petits morceaux de miroirs brisés que l’autrice a conservés dans des carnets au fil du temps.
Ce titre, c’est l’iceberg qui cache la tendresse.
Maman solo, faire famille à deux
Le livre commence par un deuil, celui du père de la gosse. On s’installe tout de suite dans ce refuge mère-fille. Nadia Daam nous livre avec beaucoup de sincérité toutes les questions, les anecdotes, les angoisses qui ont accompagné la construction de cette micro-famille.
On est un petit miracle d’ébénisterie. Un tabouret dont le troisième pied s’est décroché et qui tient encore debout.
Elle nous raconte la peur d’être la dernière survivante, de croiser la mort à chaque coin de rue et de laisser sa fille seule au monde. Cette enfant, c’est « son lait sur le feu » comme elle dit.
Avec beaucoup d’auto-dérision, elle dresse la liste de toutes ses peurs, des plus absurdes aux plus sensées. La liste est terriblement longue et c’est vraiment drôle !
Franchement, je ne serais pas moi, je me foutrais bien de ma gueule d’être aussi trouillarde. Mais cette capacité prodigieuse à traquer le danger partout et à élaborer des tragédies plus ou moins rationnelles ne me rend finalement pas la vie trop compliquée. Ce n’est pas SI handicapant. C’est comme avoir un épouvantail dans son jardin, ça gâche un peu la vue mais c’est pas si inutile.
Dans cette construction monoparentale, on retrouve bien entendu tous les ingrédients de l’auto-flagellation propre à toutes les mères. Mais dans le cas du parent solo, il n’y a pas d’issue de secours, personne pour prendre le relais. On ne peut s’en prendre qu’à soi-même. Ce n’est finalement pas la mort que Nadia Daam croise à tous les coins de rues, mais plutôt l’ombre d’elle-même qui vient lui souffler le jugement dernier, qui n’est jamais vraiment le dernier. Elle évoque toutes ces situations dans lesquelles elle a franchement merdé et toutes celles où elle a carrément assuré. Tous ces moments où elle a pété les plombs pour rien et tous ceux où elle a laissé couler alors qu’il aurait fallu dire quelque chose. Et puis il y a les moments de grâce, où rien ne laisse à désirer, dont on pourrait faire des cartes postales. On vacille entre les grands désastres et les petites victoires. Et c’est tellement ça !
Mais il y a une chose que cette maman n’a pas vu venir, c’est l’adolescence. De la même façon qu’on n’est jamais prête à devenir mère avant d’avoir un enfant, on l’est encore moins pour devenir celle d’une adolescente. On en a une vague idée avant que ça arrive…
Maman féministe d’une ado, les convictions face à la réalité du terrain
Tu seras libre ma fille, tu t’habilleras comme tu voudras et tu danseras sous les étoiles. Tu seras fière de ton corps et tu ne laisseras personne te dire à quoi tu dois ressembler, quel poids tu dois faire et qui tu dois aimer. Tu aimeras quelqu’un qui te respecte et qui te prendra telle que tu es…Voilà ce que toute maman féministe projette de dire à sa fille quand arrive le moment où elle devient une femme.
L’autrice se met complètement à nu pour exprimer avec une extrême franchise le paradoxe qui naît entre les convictions profondes et la réalité.
Si seulement il suffisait d’avoir des convictions pour les mettre en pratique, la tâche serait simple. En matière d’émancipation, on se rend bien compte en éduquant une jeune fille que la liberté n’est pas encore à portée de main. Il ne suffit pas d’aller la cueillir pour l’obtenir.
Ce qui continue de me scandaliser, c’est qu’il m’a malgré tout fallu la prévenir que l’alcool, même quand il est consommé dans la joie la plus pure, pouvait la transformer en mur d’escalade. Qu’il incrusterait dans sa peau plein de petites prises qui offriront à des hommes la meilleure des assurances s’ils décident d’enjamber son consentement pour l’écrabouiller avec leurs grosses mains pleines de doigts.
Et oui, voilà qu’un jour la gosse grandit. La situation s’inverse et transforme la mère en petite chose fragile et vulnérable. La gosse pose sur elle ce regard inquisiteur tant redouté car c’est celui qui met au jour toutes ses failles les plus intimes.
Cette gosse qui devient une femme met en lumière toutes les contradictions de sa mère. Féministe convaincue oui, mais aussi amante déséquilibrée aux relations parfois toxiques et tortueuses. Cet aveu de faiblesse a plus de force que tous les grands discours. Et dans l’énormité de cette confession, on entend la plus belle des déclarations d’amour.
Avec La Gosse, Nadia Daam réussit à nous faire prendre conscience du chemin qui reste à parcourir vers la liberté quand on est une femme. Elle révèle tout ce qui est malheureusement inscrit en chacune de nous. Elle dévoile avec une savoureuse et singulière grossièreté les lambeaux de cette condition qu’on trimballe encore. On perçoit toute la complexité et toute la beauté du lien unique entre une mère et sa fille.
Et même si ça fout une trouille bleue, même si ça laisse des traces, c’est la plus sublime des batailles !
Elodie Da Silva
Nadia Daam, La Gosse, Grasset, mars 2024, 180 pages, 17 euros