La démocratie disciplinée par la dette, la grande arnaque

Un chercheur face à la dette

Chargé de recherche au CNRS, Benjamin Lemoine s’est fait connaître avec L’Ordre de la dette, enquête sur les infortunes de l’État et la prospérité du marché (La Découverte, 2016) où il revenait sur la façon dont la dette publique s’était imposé comme un des thèmes majeurs du débat public, résultante d’un choix délibéré des décideurs publics, de droite comme de gauche. La démocratie disciplinée par la dette, on va le voir, creuse le même filon.

La grande illusion néo-libérale

La pandémie, comme l’indique l’auteur, a provisoirement mis de côté la question de la dette au profit de politiques de relance d’inspiration keynésienne. On prend conscience (si ce n’était pas déjà le cas) que cela n’est conçu que comme une parenthèse pour les décideurs politiques et financiers. Pourquoi ? Cet essai explique très bien qu’il s’agit ici de la prégnance d’une idéologie néo-libérale qui voit les systèmes de protection sociale ou la sphère publique comme néfastes à terme. On ne redira jamais assez combien des économistes comme Hayek et Friedman ont réussi durant les trente glorieuses, pourtant marquées par le fordisme et des politiques de régulation keynésienne, à former des générations de hauts fonctionnaires convaincus que toute intervention de l’État, y compris dans le domaine social, était au pire néfaste, en tout cas à surveiller de près. D’où des politiques de baisse d’impôts, principalement sur l’impôt sur le revenu, qui ont amené les états à des déficits chroniques nécessitant l’emprunt : l’argent en effet redonné aux possédants via les baisses d’impôts étant ensuite emprunté par ces mêmes États via des bons ou des obligations émis par le Trésor.

Comment la finance dompte le politique

Ainsi faisant, comme l’explique bien Benjamin Lemoine, le secteur financier obtient des moyens de pression sur les sociétés pour imposer des politiques publiques restrictives : augmentation de l’âge légal de départ à la retraite par exemple, baisse du financement des services publics (comme l’hôpital ou le système scolaire), augmentation de taxes sur la consommation, la TVA (mais pas touche à l’impôt sur le revenu, pas de création de nouvelles tranches). Le sommet de ces dérives fut atteint avec la Grèce dans les années 2011-2016 avec des conséquences dramatiques : hausse du nombre de suicides, baisse de l’espérance de vie et in fine, récession économique. Brillant essai. On a hâte de voir comment les choses vont évoluer avec la guerre en Ukraine et ses conséquences (comme le retour de l’inflation) : en tout cas, Biden peut émettre de la dette pour financer l’effort de guerre ukrainien. La guerre rend en effet keynésien…

Sylvain Bonnet

Benjamin Lemoine, La démocratie disciplinée par la dette, La Découverte, février 2022, 160 pages, 13 euros

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