La Fabrication des chiens, le roman d’Agnès Michaux

Louis Daumale, jeune journaliste au Figaro, a quitté sa lointaine province, bien décidé à conquérir Paris. Nous sommes en 1889, cent ans après la Révolution, et dix neuf ans après l’ « année terrible », celle de 1870 où l’on mangeait des chiens dans la Capitale…. Des chiens, justement, il en est beaucoup question dans le dernier livre d’Agnès Michaux, La Fabrication des chiens. Un gros bouquin très agréable, qui suit pas à pas la vie parisienne de Louis Daumale, dans une société de cocottes et de coquettes, où arrivent, d’on ne sait d’où, des chiens, des dizaines de chiens, petits souvent, idiots parfois.

Des chiens de race

« Le chien de race, Louis, c’est le plus beau bibelot, la marque de la réussite, le comble de l’élégance. Il est coûteux et inutile, ce qui fait son triomphe. Plus il est petit et cher, plus il est chic » déclare sans s’émouvoir l’une de ces belles dames, propriétaires de clébards hors de prix. Voilà le tableau. 

Ces chiens, qui incarnent le bon chic parisien de la troisième république, participent aussi à des concours avec leurs maitresses. Ce sont des spectacles dits de beauté, baptisés « La femme et le chien », qui réunissent jusqu’à deux cents concurrents dans les jardins des Tuileries. Au milieu des griffons et des levrettes, on croise du beau monde, et le marquis de Vibraye, qui possède la plus belle meute du pays, en profite pour faire la cour à la comtesse de Montesquiou. 

De la bonne société

Dans ses occupations journalistiques, Louis Daumale croise aussi  des célébrités, Alphonse Daudet et son fils Léon, Huysmans et Zola, le docteur Charcot et l’inévitable père Dupanloup. Mais surtout il rencontre un étrange docteur Mangelle, d’une inquiétante homonymie avec le sinistre docteur Mengele, qui fabrique des chiens au vrai sens du terme, à force d’opérations, de croisements, de vivisection, de tortures et de manœuvres aussi diverses que condamnables. D’autant plus condamnables que Mangelle caresse en secret l’espoir de faire des hommes nouveaux comme il fait des chiens nouveaux, c’est-à-dire de faire naitre de nouvelles races. 

« Y-avait-il vraiment de quoi s’enorgueillir de nos progrès et de notre civilisation » s’interroge Louis Daumale, contestant d’emblée tout ce que la science et la technique venaient d’amener dans la vie des hommes. Et l’on pense à Rabelais « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Il faut dire que les Parisiens d’alors découvrent tout à trac la Tour Eiffel, l’électricité, l’Exposition Universelle, l’hygiène, les bains de mer, la chirurgie, le chemin de fer, etc. C’est une époque où le monde bouge. 

Le chien, article de mode

« Le chien n’est plus seulement le compagnon du chasseur, il est le chaleureux accessoire de l’homme et de la femme modernes » se félicite l’un des plus ardents amoureux du « progrès ». Tout est dit. Et plus loin « Ce sont des phénomènes, dont le principal mérite consiste à tenir dans un manchon. Et en plus, ils sont chers, mille ou deux mille francs, le prix d’un cheval ! ». En homme de la campagne, Louis Daumale a du mal à contenir son sérieux. Mais aussi sa raison. 

Bien entendu, il s’agit d’un roman, et Agnès Michaux annonce cette fiction sans se cacher. La Fabrication des chiens, donc, est un excellent livre, avec quelques longueurs, certes, mais aussi avec de belles pages, où la fantaisie du style et le sens du récit, peignent une histoire amusante sans cesser d’être sérieuse. Le deuxième tome est annoncé pour l’année prochaine. On l’attend déjà. 

Didier Ters

Agnès Michaux, La Fabrication des chiens, Belfond, février 2020, 360 pages, 20 eur

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