« La Forêt sombre », mieux vaut rester seuls dans le cosmos

La science-fiction est aussi chinoise

 

Dire cela ne veut rien de dire de plus qu’il serait temps que nous puissions disposer de traductions en français d’auteurs comme Liu Cixin. La sortie du Problème à trois corps a été un véritable coup de tonnerre pour une partie de la critique, peu habituée à lire autre chose que de l’américain. Or Liu Cixin a livré une fiction peu commune, en voici les grandes lignes : pendant la Révolution culturelle, une jeune scientifique nommée Ye Wenjie travaille sur un projet visant à envoyer un signal vers des civilisations extraterrestres. Elle reçoit une réponse des trisolariens, en difficulté sur leur propre monde et qu’elle encourage à envahir la Terre, dégoûtée de l’humanité et de ses turpitudes. Elle fonde un groupe devant favoriser leur invasion, découvert au final par les services secrets chinois et américains. Ceux-ci n’ont pu cependant empêcher les trisolariens de bloquer le progrès technologique humain grâce à des intellectrons, particules subatomiques qui de plus espionnent les faits et gestes de l’humanité. On en était là à la fin du Problème à trois corps : comment est donc la suite ?

 

L’humanité face à la menace trisolarienne

La flotte d’invasion trisolarienne est en route vers la Terre, elle mettra environ 200 ans pour l’atteindre. Pour faire face à cette menace, l’ONU met en place deux programmes visant à contrer l’arrivée de la flotte extra-terrestre. Le premier consiste à développer une flotte spatiale qui devra affronter la flotte de vaisseaux qui approchent. Il vise à concentrer les ressources et les efforts militaires des grandes nations, comme la Chine et les Etats-Unis, même si l’optimisme n’est guère de mise…

Le second programme désigne quatre hommes, appelés les colmateurs, pour élaborer des stratégies secrètes connues d’eux seuls. Trois d’entre eux sont des personnalités puissantes et déjà reconnues, le dernier, le sociologie Luo Ji, ancienne connaissance de Ye Wenjie, est un quasi-inconnu qui commence par refuser la mission qui lui est confié avant de subir une tentative d’assassinat de l’OTT, la cinquième colonne travaillant pour les trisolariens. Cela ne l’empêche pas de prendre au final son temps, de trouver une femme et de faire un enfant grâce aux ressources qui lui sont donnés. Mis au pied du mur, il élabore pourtant une sort de « malédiction », envoyée dans l’espace vers une étoile proche… Mais Liu Ji subit l’attaque d’un virus génétique généré par l’OTT et est mis en hibernation…

 

Le défi

Plus d’un siècle plus tard, Luo Ji est réveillé de son hibernation. La technologie, malgré les intellectrons a fait des bonds incroyables. Les villes sont sous terre, immenses, les ressources alimentaires n’ont plus de limites et surtout la flotte spatiale est prête pour faire face à l’invasion. On met fin au programme des colmateurs dont il ne reste que deux survivants. Et voici que la première sonde trisolarienne arrive dans le système solaire.  Les humains sont sûrs de leur supériorité et s’attendent à une offre de négociation : leur surprise sera terrible…

 

Un grand roman de science-fiction

 

Au-delà du décentrement qu’opère Liu Cixin (l’essentiel de l’action se passe en Chine et met en scène des asiatiques), La forêt sombre se révèle un excellent roman. Sur bien des plans, on a affaire à une sorte de thriller : que vont réaliser les colmateurs ? Cela va-t-il marcher et que sera la réaction de l’OTT ? La seconde partie du roman révèle une humanité qui a surmonté ses doutes et se retrouve bouffie d’orgueil, pour un résultat au final désastreux… Le titre du roman, « La Forêt sombre », cache enfin un axe essentiel de la réflexion de l’auteur quant au paradoxe de Fermi qui, rappelons-le, peut être formulé de la façon suivante : pourquoi aucune civilisation extraterrestre, vu l’immensité et le potentiel de la galaxie, n’a contacté l’humanité ? Réponse de l’auteur : tous restent dans l’ombre, de peur d’être découverts par une civilisation plus puissante, redoutant la destruction. Et c’est d’ailleurs le cœur de l’ultime rebondissement du livre. On peut contester le concept, on salue néanmoins le brio du livre et sa construction.

Liu Cixin méritait, contrairement à d’autres, d’être couronné par le prix hugo.

 

 

Sylvain Bonnet

Liu Cixin, La Forêt sombre, traduit du chinois par Gwennaël Gaffric, Actes Sud, « exofictions », octobre 2017, 720 pages, 23,80 euros

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