L’Assassinat de Clémenceau, raconté par Jean-Yves Le Naour

Le 19 février 1919, Georges Clémenceau entame son chemin matinal de petit père tranquille, quinze minutes entre son domicile et le Ministère de la Guerre. Toute le monde aime Clémenceau, sauf Emile Cottin (1896-1936), militant anarchiste, qui tente par plusieurs coups de révolver de tuer le Tigre. C’est cet événement que Jean-Yves Le Naour raconte dans L’Assassinat de Clémenceau, mais aussi une époque et ses mœurs.

L’anarchiste Cottin rate son coup

L’assassinat raté est presque un non événement, et il est expédié dès le prologue comme un film d’action dont le malheureux héros, Cottin, termine lynché par la foule et sauvé in extremis par les policiers. Il s’est rendu en hurlant « ne me frappez pas, je parlerai ! », mais la foule a ses raisons…

Cottin, qui mourra sur le front d’Aragon pendant la Guerre d’Espagne, est avant tout un idéaliste. On ne lui connait nul réseau, nulle condamnation, ce n’est qu’un anarchiste ulcéré par toute forme de pouvoir, d’oppression. Un doux rêveur submergé par son idéalisme. Bien que condamné à la peine capitale, il sera libéré pour raison de santé mentale…

Sa tentative d’assassinat est surtout « utile » à la presse pour dénoncer les complots et les ennemis qu’il faut vite se réinventer maintenant que la paix règne…

La presse jugée

Reprenant la posture qu’il avait utilisé dans Le Corbeaux, livre à l’occasion duquel nous l’avions rencontré, Jean-Yves Le Naour s’en prend à la presse et dénonce à la fois le vide des articles, la véhémence des tons, la politisation outrancière des « enquêtes » et finalement la récupération et l’agitation. La presse se saisit de cet attentat pour fustiger les ennemis de la Patrie, surtout les Bolcheviks qu’on ira traquer sur la base de tous les motifs les plus futiles, être inscrits comme lecteur d’un journal libertaire peut suffire…

Deuxième fiche anthropométrique concernant Émile Cottin établie le 19 février 1919, recto © Arch. nat., F/7/14683 (FRAN_2018_00962)

Les politiques discrets

A l’inverse des journaux, les hommes politiques sont étonnamment effacés. Cottin n’est pas l’anarchiste sanguinaire sur lequel appuyer une charge pour la droite, et la gauche préfère ne pas être associée à des activistes. Cette grande affaire n’en est finalement pas une, et rapidement tout le monde passera à autre chose.

Bref, ce qui devait être l’événement majeur ne s’achève qu’en péripétie vite oubliée.


On appréciera le style leste de Jean-Yves Le Naour — mis à part quand il se fait gazetier et ne contrôle plus quelques emportements indignes d’un historien (Léon Daudet, par exemple, « ce malade mental ») — qui parvient à faire revivre cet événement, qui aurait pu être majeur mais qui finalement ne le fut pas, mais reste un bon moyen de comprendre l’époque et ses bouillonnements.

Loïc DiStefano

Jean-Yves Le Naour, L’Assassinat de Clémenceau, Perrin, février 2019, 166pages, 17 euros

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