Lafayette, le premier des communicants

Journalisme, diplomatie et histoire

Journaliste au Figaro puis surtout au Monde, spécialisé dans les questions diplomatiques et la défense, Laurent Zecchini a été correspondant à New Delhi et surtout à Washington de 1994 à 1998 : est-ce là qu’il s’est intéressé au personnage de Gilbert Motier de Lafayette ? En tout cas, il vient de consacrer une biographie au « héros des deux mondes », après celles d’Etienne Taillemite (Fayard, 1989) et de Jean-Pierre Bois (Perrin, 2015) : près de deux siècles après sa mort, le personnage continue de faire couler de l’encre, sans doute parce qu’il incarne quelque chose de fort (surtout pour les américains).

Un aristocrate qui choisit la liberté

Au fond il y a un mystère Lafayette qui se pose de plusieurs manières. Tout d’abord, il s’agit de savoir comment le rejeton d’un des lignages les plus prestigieux du royaume de France, allié par le mariage avec Adrienne à celui des Noailles, a choisi de servir la révolution américaine ? Laurent Zecchini démontre qu’il a été certainement instrumentalisé par Charles de Broglie, ancien du Secret du roi (Louis XV) dont le réseau d’espions avait pour but ultime la revanche contre l’Angleterre, vainqueur de la guerre de sept ans.

Pour autant, Lafayette, jeune fat amoureux de lui-même, va connaître une véritable révélation. D’abord il se prend d’affection pour George Washington, un modèle pour le reste de sa vie. Et puis il devient partisan de la « liberté », cette idée nouvelle qui s’abreuve à plusieurs sources et à laquelle il va s’identifier. Le jeune noble en ressort transformé : c’est son heure la plus glorieuse, la plus courageuse aussi, là où il rompt avec son milieu d’origine, lui qui prenait des cours d’équitation avec le comte d’Artois, futur Charles X (un des pires rois)…

Le destin d’une icône

Dans cette biographie fort intéressante, on devine l’empathie de l’auteur envers son sujet. Il reste d’ailleurs lucide quant à son besoin effréné de gloire. Pour autant il mésestime parfois (ou excuse ?) son penchant pour la gloire et la popularité. Car Lafayette aimait la scène, adorait paraître et plaire (son passé courtisan). Vrai communicant, il sait à quel moment parler et dire les choses.

Le problème est la suite. Je serai plus dur que l’auteur sur son rôle au cours de la Révolution française. Lafayette bénéficiait d’une réelle opportunité historique pour avancer ses idées. Or il n’a rien fait sauf courir après Evènement comme en octobre 1789 qui voient la cour être ramenée de force à Paris par une foule menaçante (il réussit cependant à éviter le pire). Idem en 1791 lors de la fuite à Varennes, même s’il a affaire à un couple royal retors. Sa chance, l’auteur a raison de le souligner, est d’être capturé par les autrichiens en 1792 : à cause des mauvais traitements (réels), il devient un martyr aux yeux de l’opinion européenne. Il ne rentre en France que progressivement, grâce à Napoléon (malgré lui ?). Il retrouve sa virginité politique en contestant l’Empire mais sera la dupe à Fouché en 1815 qui se sert de lui et d’autres pour renverser Napoléon (je renvoie à l’ouvrage de Jean-Paul Bertaud, L’Abdication). Opposant lucide du régime de la Restauration, il se compromet avec le mouvement de la Charbonnerie vite réprimé par la police et frôle la prison.

La révolution de 1830 marque son triomphe quand il adoube le duc d’Orléans devant le peuple de Paris. Mais Louis-Philippe l’écarte vite…

Quel bilan au final ?  Il a incarné l’espérance de la liberté en Europe et ailleurs. il est un porte étendard, un symbole historique. Cependant, Politiquement, il a été incapable de jouer un rôle efficient. Au fond, Lafayette, avide de gloire, est un égocentrique tempéré par sa passion réelle de la liberté. Il n’avait pas l’âme d’un acteur de l’histoire. Par contre, il en fut un symbole agissant…

Sylvain Bonnet

Laurent Zecchini, Lafayette, Héraut de la Liberté, Fayard, Avril 2019, 580 pages, 26 eur

P.S : page 41, la Saxe est qualifiée de province autrichienne, ce qu’elle n’a jamais été.  Il s’agissait d’un royaume dont le prince était électeur du saint empire romain germanique.

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