Lettre aux instituteurs et institutrices de Jean Jaurès

Parce qu’elle a été choisie comme élément de rassemblement des forces démocratiques contre la Barbarie après l’assassinat de Samuel Paty, la Lettre aux instituteurs et institutrices a repris place dans l’esprit des Français. Mais la connait-on vraiment ? La lecture qui en a été faite a été tronquée, amputée de sa charge contre le système de l’éducationnel afin nationale même. Il est temps de la réhabiliter dans son intégralité.

Un élan de tendresse

Jean Jaurès vient du peuple. Malgré ses études supérieures, il est resté proche de ses racines. Et c’est en pensant à tous les enfants qui n’ont pas eu sa chance qu’il se propose, dans sa tribune, de définir le lien qu’il espère voir exister entre les maîtres et leurs élèves. Et la première chose qu’il met en avant, c’est la tendresse, l’affection, pour chacun d’eux et pour leur mission commune : la citoyenneté.

Pour Jaurès, il ne s’agit pas d’enseigner à lire et à compter, il s’agit d’enseigner à lire et à compter à de futurs citoyens dans la perspective précise de leur liberté possible. S’il faut aimer et connaître la France, c’est en tant qu’état démocratique, qui offre et droits et impose des devoirs. Mais pour prétendre en être, il fat être instruit : de son histoire, de sa géographie, de sa culture. Et être suffisamment instruit pour savoir trier parmi tout ce qui viendra ce qui seul sera bon pour soi et pour la France. Éduquer, c’est hausser l’individu, en faire un homme libre.

Un texte politique

Le situant à la fois dans une histoire de la pensée (dans l’héritage de Jules Ferry et dans la construction du socialisme moderne) et de Jean Jaurès lui-même, Christophe Prochasson, Président de l’École des hautes études en sciences sociales, redonne à ce texte sa pleine vérité. Car il est connu tronqué, et il faut montrer que les parties « censurées » ne l’ont pas été sans dessein, pour lui donner un sens plus lisse dans ses critiques du système éducatif même. Car Jaurès veut une éducation qui fasse des enfants des citoyens, donc des hommes libres. Et il répugne au système castrateur de la notation sur des broutilles (comme l’orthographe, par exemple), qui favorisera les classes aisées au détriment du peuple : si on ne lui mets pas de trop serrés carcans, l’enfant du peuple pourra dans un premier temps déployer sa pensée, puis dans un deuxième temps il corrigera ce qui doit l’être. Mais le brider dès ses premiers apprentissages sur des normes qui sont très étrangères à son monde, c’est le contraindre d’y demeurer. Et c’est précisément le contraire de la mission première des instituteurs et institutrices : préparer les hommes de demain, les citoyens éclairés d’une démocratie. On est loin de l’utilitarisme…

Lettre aux instituteurs et institutrices est un texte d’une belle vigueur morale et toujours d’actualité. A relire en cette rentrée scolaire d’où le bien-être des élèves et des professeurs a semble-t-il encore été considéré comme une variable d’ajustement, infinitésimale…

Loic Di Stefano

Jean Jaurès, Lettre aux instituteurs et institutrices, postface de Christophe Prochasson, illustrations de Pascal Lemaître, Editions de l’Aube et Fondation Jean Jaurès, 121 pages, 10,90 eurOS

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