TERRE ERRANTE, Liu Cixin en orbite !

Éxofictions, LA collection SFF d’Actes Sud nous fait une belle surprise : Terre Errante de Liu CIXIN en poche !

Jolie idée de faire paraître pour le nouvel an occidental ET chinois (le 25 janvier) la novella de Liu CIXIN Terre Errante en petit format et donc petit prix. Ainsi, en anticipant les deux tomes prévus en 2021 qui regrouperont l’ensemble de ses nouvelles, la collection Éxofictions confirme son intérêt pour le célèbre auteur chinois Liu Cixin. Un succès déjà abordé ici lors de l’édition de l’un de ses premiers titres Boule de foudre, dans la collection imaginaire d’Actes Sud.

Alors pour ceux qui auraient vécu dans une grotte, ou le nez sur leur smartphone, il est temps de se reconnecter avec Terre Errante ! Car cette histoire a eu une vie au-delà de l’écrit. Adaptée en 2019 par Frant Gwo au cinéma, la nouvelle éponyme est devenue le block buster The Wandering Earth (la fiche IMBD ici). Un ÉNORME projet qui est devenu le plus grand film de Science-Fiction chinois, tant en budget qu’au box office !

Terre errante
Affiche chinoise du film

Première superproduction du genre pour le pays, The Wandering Earth a cartonné à l’international. Au point d’être le troisième film en recettes de l’année 2019. Simplement battu par Avengers Endgame et Captain Marvel ! Donc, en bénéficiant du gigantesque marché chinois et américain, le pari fut gagné, haut la main. Mais surtout, mieux encore, en avril 2019 un accord commercial avec Netflix permit de le distribuer dans le reste du monde ! Ainsi le 30 avril débarqua en France en VOST Liúlàng Dìqiú, Terre Errante.
Alors pitchons un peu amis boojumiens, et explorons ensemble notre planète devenue vagabonde, “supertramp”.

Avant la Terre Errante, la Terre freinée

Car on nous a menti ! Les scientifiques avaient annoncé un soleil en pleine santé. Parfois capricieux, avec vents et marées, mais solide. Quasiment immortel ! Ils nous mettaient en garde plutôt sur le devenir de notre bonne vieille Terre. Qu’en enfants gâtés et inconscients nous détruisions à petit feu. Puis de plus en plus vite. Ignorants et fats que nous fûmes ! Négligeants le plus important, le soleil. Et le diagnostique est tombé. Le soleil se meurt ! La conversion de l’hydrogène en hélium s’accélère et dans 300 ans un flash d’hélium transformera notre étoile en géante rouge. Carbonisant l’ensemble du système solaire, Terre comprise.

Devant ce scénario catastrophe, l’humanité, enfin unie sous une Coalition (le GTU : gouvernement terrien unifié dans le film) se serre les coudes. Érigeant ingénieurs et savants au rang de sauveurs, le plan est conçu. Déplacer la terre ! La désorbiter ! Ainsi la propulser hors du système vers une nouvelle étoile. Un nouveau havre pour la civilisation humaine, proxima du Centaure. Un projet fou !

Au milieu de ce maelstrom, nous suivons un jeune chinois jamais nommé (le Liu Qi du film). Il sera le narrateur de l’improbable épopée. Car c’en est bien une ! Elle s’étale de l’ère du freinage à l’ère de la fuite pour ceux de sa génération. C’est-à-dire l’ensemble des terriens survivants aux épreuves en tout genre qui ont menées à cet espoir ultime. Ceux qui ont résistés aux cataclysmes d’abord. Les marées et les tsunamis géants. Les éruptions volcaniques, les séismes ou les privations imposées par la Coalition pour tenter l’impossible.

Fuite ou survie ? Terre (ab) Errante !

Il a fallu pas moins de 42 années pour arrêter la terre. Puis la lancer vers Jupiter. Telle une fronde, la reine des planètes de notre système permettra à la Terre une projection cinétique déterminante. Seul espoir d’atteindre son nouveau foyer centauri sans détruire l’ensemble des ressources restantes. Et pour réussir cet exploit, l’hémisphère sud est devenu un immense chantier. Où brûle un feu permanent. Abritant des milliers de super propulseurs géants, plus grands que l’Everest. Monts et pics cyclopéens, seuls aptes à générer la poussée initiale vers la géante gazeuse.

On donnait aux propulseurs terrestres le nom de “chalumeaux de Dieu”. Tapis dans l’ombre gigantesque de celui-ci, nous sentions ses vibrations faire trembler le sol.

terre errante

Mais avant d’en arriver à cette première étape réussie, les partisans de la Terre voyageuse ont longtemps eu à batailler contre les tenants des vaisseaux générations. Encore aujourd’hui, l’ampleur du risque de voir la Terre comme seul réceptacle de l’Humanité, semble une aberration à beaucoup. Et quand, pendant l’ère de la fuite, celle où est né notre narrateur, seconde génération du projet Terre Errante, les habitants terrés dans les mégacités souterraines voient Jupiter grossir dans le ciel crépusculaire, éclairant misérablement la Terre glacée, la peur réveille les âmes sidérées. Et les doutes, insidieux et obsédants !

Alors la révolte sourd. Les rumeurs que le soleil n’a aucun problème brassent les complotistes vers un seul objectif. Punir les fidèles de la Coalition. Remettre la Terre à sa juste place dans l’univers. Retrouver le paradis perdu. Quitte à passer par l’enfer !

Terre Errante, une poésie de la fuite

À la lecture de la novella de Liu Cixin, le spectateur de The Wandering Earth ressentira une surprise de taille. Dans Terre Errante le traitement poétique et social du projet prévalent. Alors que dans le film, la montée émotionnelle de la dramaturgie va tendre vers le spectaculaire final jovien. Effets spéciaux et ascenseurs émotionnels garantis !

Car des changements dans l’intrigue ont été nécessaires. Bien sûr, écrite en 2000, on se dit que Liu Cixin encore débutant à l’époque et pas encore lauréat du prix Hugo (2015) pour son cycle initié par le problème à trois corps (paru depuis chez Babel), n’avait pas encore la totale maîtrise de son art Hard Science. Malgré tout, ses choix littéraires, où s’entremêlent une vision poétique du destin de la Terre et une angoisse métaphysique de la place de l’Homme dans l’univers, permettent à Terre Errante de réussir là où le film échoue. Nous toucher…profondément !

Si le point nodal des récits reste bien l’orbite de Jupiter, le choix narratif entre les deux versions est très dissemblable. Une révolution dans le texte, un cliffhanger spectaculaire dans le film. Les dramas en jeu ont alors des ressentis bien différents. Un sacrifice et un héroïsme d’une famille (inexistante ou presque dans la nouvelle) en mode esprit pionnier bien idéologisée sur la pellicule. Une rage désespérée poussant à la destruction du projet/régime via le centre de contrôle (placé sur Terre ici et pas en orbite comme dans le film) une humanité paniquée et incrédule dans le texte.

Ainsi se différencient nettement les deux approches. Deux biais frontaux et opposés à qui veut lire entre les lignes et voir derrière les images. Le fait social comme lien, le libre arbitre et le respect des forces du chaos sont les maîtres mots de Terre Errante. La “Foi” politique aveugle, la science positiviste et la famille comme ciment sont ceux de Wandering Earth.

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Terre Errante : novella réussie ET subversive

Clairement, la novella est beaucoup plus subtile et émouvante que le film. Mais, j’avoue, dans les deux cas, je n’ai pas boudé mon plaisir. On voit surtout, le sous-texte prégnant du film. Celui d’une Chine actuelle. Ambitieuse et conquérante. Mais qui ne peut pas laisser voir un peuple douter du système. Alors qu’avec Terre Errante, Liu Cixin choisit avec malice la forme subversive. Celle qui a toujours permis aux poètes et philosophes de faire passer par la fable des messages universels malgré des institutions séculaires. Implacables parfois.

L’Homme a commencé son Histoire en étant un vagabond. Nomade par nature. Prédateur puissant. C’est uniquement en meute qu’il a pu survivre. Seul, il n’est rien ! Devenu omnipotent sur la Terre, il risque maintenant de la dévorer. Jusqu’au jour où elle le rejettera. Ou le soleil. Qu’importe la fin, sa forme et son moment. Si nous voulons repousser l’inéluctable, il nous faut regarder la vérité en face. Il n’y a pas de deuxième Terre !

Le salut, même le plus poétique et le plus fou soit-il comme ici, n’est pas forcément dans la fuite en avant. Encore moins en faisant du surplace. Ni dans l’individualisme forcené. Forcement mortifère. Il est temps d’entrer dans l’Ère de l’imagination. Et d’arrêter de fuir. Afin qu’ensemble nous pensions un futur différent. Et ça commence ICI ET MAINTENANT !

Ainsi surgissent, puissantes, les idées qui portent l’ensemble des écrits de Liu CIXIN. Et Terre Errante n’y fait pas exception. Il en est même un condensé parfait. Révérence et chapeau bas Monsieur !

Marc Olivier Amblard

Liu CIXIN, Terre Errante, traduit du chinois par Gwennael Gaffric, collection Éxofictions, Éditions Actes Sud, 9€.

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