Los Angeles Plays Itself, la cité des anges perdus

À travers des extraits issus de deux cents longs-métrages, Thom Andersen dresse une gigantesque fresque de la mégalopole américaine et étudie les rapports qu’elle entretient avec le cinéma.

Ville la plus emblématique des États-Unis avec New York, Los Angeles jouit d’une aura indéniable et nourrit nombre de fantasmes, bien plus que la capitale Washington (et d’autres de par le monde d’ailleurs). En abritant en son sein les puissants studios hollywoodiens, elle s’impose comme le vecteur culturel national par excellence. Néanmoins, les espoirs suscités par la fabrique à rêve s’évaporent au contact d’une réalité bien moins attrayante et des sordides anecdotes qui gravitent autour de son Histoire. En effet, au fil du temps, les images loin d’être authentiques, renvoyées par le septième art, ont sapé la vision d’ensemble, ce au profit de l’illusion.

Voilà pourquoi le documentaire esquissé par Thom Andersen, un maître du genre hélas méconnu dans l’hexagone, s’avère essentiel puisqu’il écarte nombre d’idées reçues tout en affichant un véritable amour pour la mégalopole tentaculaire. Résidant lui-même à Los Angeles au moment de tourner son film, le metteur en scène décrypte les connexions existantes entre le cinéma et la cité elle-même, comment ils se sont influencés l’un et l’autre avec les années, balayant au passage certains mensonges et rappelant quelques faits douloureux. Et au-delà de l’aspect purement diégétique se dessine un portrait social fascinant.

Thom Andersen plonge alors le public dans un univers composé uniquement d’extraits de longs-métrages afin de développer son propos. Il s’appuie aussi bien sur plusieurs exemples illustres d’Assurance sur la mort à Blade Runner en passant par Chinatown ou encore Heat que sur quelques séries B de moindre envergure de prime abord, mais qui complètent fort bien sa démonstration (à commencer par Dragnet qui a inspiré la fausse émission Badge of honor, présente dans le L.A Confidential de Curtis Hanson).

Certes, on se retrouve submergé par un flot continu d’informations au point d’imploser par moments et la durée du film n’arrange rien. En revanche, le dispositif déployé ici intrigue puisque son exposition de Los Angeles passe essentiellement par ces fameux extraits qu’il commente au fur et à mesure afin de dissocier la chimère du réel. Tout ce que le spectateur croit savoir sur la ville par le prisme d’Hollywood s’efface même si cette dernière a grandement pesé sur son évolution et sa croissance.

De L.A à Hollywood

Ainsi, la longue introduction (près d’une heure) permet d’en apprendre davantage sur les éléments qui unissent ou au contraire opposent Hollywood et la majeure partie de Los Angeles. Le tableau brossé par Thom Andersen surprendra ceux qui n’ont jamais visité les lieux tant le monde des studios se tient à l’écart du reste de la cité. S’étendant sur une surface comparable à la région parisienne, Los Angeles ne se résume pas toutefois à Hollywood ou à Beverly Hills.

Quant à l’architecture, elle ne se contente pas des immeubles rutilants ou des demeures grandioses, bien que l’inconscient collectif soit imprégné par les plans de tel ou tel film. Cependant, la condescendance émanant du septième art américain fausse notre perception et brouille les cartes. Par conséquent, Los Angeles se mue en L.A et perd son identité et sa dignité. La vision dystopique de Blade Runner se transforme presque en futur enchanteur lorsque l’on est confronté de plein fouet à la vérité.

Du personnage au sujet

Quoi qu’il en soit, que Los Angeles incarne un personnage parmi tant d’autres ou s’érige en centre d’intérêt d’un long-métrage, elle ne nous laisse jamais indifférents et on observe en son sein tous les maux qui frappent la société américaine. Le socle sur lequel s’est bâti la nation, mais aussi la Cité des Anges, repose parfois sur un tissu de mensonges et de nombreuses inégalités. Preuves cinématographiques à l’appui, Thom Andersen entame alors un réquisitoire à haut risque qui, s’il n’échappe pas à certains clichés, met en lumière des zones d’ombres, enfouies avec minutie par des autorités peu scrupuleuses.

Thom Andersen n’hésite pas à évoquer les failles béantes du système judiciaire, les émeutes raciales dues à la misère (notamment celles de 1943 et de 1965, méconnues d’un large public) ainsi que les sinistres dessous derrière l’irrigation des terres ou la construction des voies rapides. Des événements rapportés par Roman Polanski dans Chinatown, L.A Confidential de Curtis Hanson ou encore par Robert Zemeckis dans Qui veut la peau de Roger Rabbit ?, Thom Andersen remémore à raison des souvenirs douloureux et les accorde à son immense entreprise, ce qui tend à lui nuire par intermittence.

De fait, il faut avouer qu’en dépit de ses qualités intrinsèques, Los Angeles Plays Itself pêche par son ambition grandiloquente tandis que les multiples digressions et le montage dense finissent par nous perdre. On regrette aussi certains non-choix concernant les films disséqués (pourquoi allouer autant d’importance à Raccroche ! et si peu de considération pour Mulholland Drive). Par conséquent, le long-métrage passionne tout en laissant un arrière-goût d’inachevé, malgré ses deux heures cinquante gargantuesques, presque excessives. Une réussite relative qui a le mérite de rappeler le lien si particulier qui unit la ville et le cinéma.

François Verstraete

Documentaire américain de Thom Andersen. Durée 2h50. 2003. Disponible en DVD et Blu-Ray aux Éditions Carlotta

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