Aliénor d’Aquitaine, la grande dame
Spécialiste des Plantagenêts, Martin Aurell enseigne à l’université de Poitiers depuis 1994 et a dirigé le centre d’études supérieures de civilisation médiévale de 2015 à 2022. Il est notamment l’auteur de L’empire des Plantagenêts (Perrin, 2003). Ici il revient sur la singulière figure d’Aliénor d’Aquitaine, successivement reine de France et d’Angleterre. Qu’apporte de neuf Martin Aurell sur ce personnage si singulier ?
Un parcours impressionnant entre histoire et légende

La vie d’Aliénor, qui s’étend sur plus de quatre-vingt ans (exceptionnel vu l’époque), est au détail assez incroyable. Voici donc la fille du duc d’Aquitaine devenue reine de France en épousant le timide Louis VII. Ce dernier aurait été selon les sources (qu’il faut prendre avec précaution) fou amoureux de sa femme qui, pourtant, ne lui donne pas le fils espéré. Aliénor voit donc son mariage annulé pour cette raison et non pour un adultère supposé avec son oncle Raimond de Toulouse lors de la croisade, il n’empêche que cette rumeur aura la vie très dure et lancera le mythe de sa nymphomanie. Et Martin Aurell étudie cette légende souvent noire et parfois rose avec un soin très particulier car c’est elle qui installe cette femme dans l’histoire. Devenue reine d’Angleterre, elle donne des fils à son époux qui la trompe vertement. Et la voilà bientôt qui soutient son fils Henri en révolte contre son père, ce qui lui ne vaut rien moins qu’une assignation à résidence ! Cette reine n’hésite pas à défendre ensuite Richard, son préféré certainement. Le futur Cœur de Lion montrera d’ailleurs toujours une affection inébranlable envers sa mère à qui il confie la régence lors de son départ en croisade avec son « ami » Philippe Auguste.
Un mythe malgré la mauvaise réputation
Aliénor fascine toujours donc. Sa ténacité à tout faire pour libérer Richard captif de l’empereur impressionne et sa capacité à exercer la régence en Angleterre aussi. C’est parce qu’elle était une femme de pouvoir que sa légende noire est née d’ailleurs : ne montait-elle pas à cheval comme une amazone ? Aliénor, comme le note Martin Aurell dans sa conclusion, vit à une époque où la condition de la femme se détériore. C’est aussi pour ça que cette reine, dont descendent encore aujourd’hui la famille royale d’Angleterre et la famille de Bourbon-Orléans (car sa petite-fille Blanche de Castille épousa Louis VIII et fut la mère de Saint-Louis) continuera longtemps de nous fasciner, loin des clichés misogynes de l’historiographie du XIXe siècle. Martin Aurell a ici accompli un excellent travail de biographe et d’historien.
Sylvain Bonnet
Martin Aurell, Aliénor d’Aquitaine, Flammarion, novembre 2024, 512 pages, 24,90 euros
Post-scriptum : c’est avec tristesse que nous avons appris le 8 février la disparition de ce grand médiéviste.