Martin Heidegger, Qu’est-ce que la métaphysique ?
Concept forgé par Aristote, mais déjà présent chez Platon, la métaphysique se caractérise par une recherche de ce qu’il est permis de connaître de l’être, des causes de toutes choses et des principes fondamentaux de la connaissance même. L’histoire de la philosophie occidentale est une longue interrogation de ce concept. Martin Heidegger (1889-1976) s’attache, dans sa leçon inaugurale en forme de conférence de 1929 alors qu’il succède à Husserl, « Qu’est-ce que la métaphysique ? », à extraire la métaphysique de l’abstraction pour la plonger dans l’être, dans l’étant, et la faire coïncider avec les préoccupations de chacun — dans la limite de l’accessibilité du texte… Son propos est de revenir sur un grand oublié de la métaphysique : l’être.

La question de l’Être
Heidegger reprend l’interrogation fondamentale de Leibniz, « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » pour lui apporter un éclairage structurant et non plus seulement paradoxal. Cette question, selon lui, est au cœur de la métaphysique. Pourtant, la tradition philosophique a tendance à négliger cette question en se concentrant sur les étants (les choses qui existent) plutôt que sur l’Être lui-même (ce qui permet aux étants d’être). Hors « rien » n’est pas une absence, mais ce qui permet de révéler l’Être. L’angoisse, par exemple, nous confronte au néant et, ce faisant, nous ouvre à la question de l’Être. Le « rien » n’est pas une simple négation, mais une condition de possibilité pour que l’Être se manifeste.
L’être humain (Dasein) est le seul étant capable de poser la question de l’Être, car il est conscient de sa propre finitude et de sa mortalité. C’est cette conscience qui le distingue des autres étants et qui rend possible la métaphysique.
Repenser la métaphysique
Heidegger considère que la métaphysique est « achevée » : elle a épuisé ses possibilités, et son ultime forme est l’ère de la technique, où l’étant est réifié et calculable. Pour lui, il ne s’agit pas de rejeter la métaphysique, mais de la dépasser, c’est-à-dire de l’assumer comme destin de l’Être tout en cherchant un « autre commencement » de la pensée. Ce dépassement passe par une écoute de l’Être dans son retrait, et non plus comme fondement ou cause. Heidegger reproche ainsi à la métaphysique traditionnelle (de Platon à Nietzsche) d’avoir réduit l’Être à un concept parmi d’autres, en l’oubliant comme question fondamentale. La métaphysique est ainsi devenue une science des étants, perdant de vue la question originelle. Il veut donc dépasser la conception classique de la métaphysique pour retrouver le sens authentique de l’Être. Cela implique de repenser le rapport de l’homme à l’Être, non plus comme un objet à connaître, mais comme un mystère à habiter.
Heidegger défend l’idée que la métaphysique doit se recentrer sur la question de l’Être, grand oublié selon lui, en reconnaissant que l’homme est l’être par qui cette question peut être posée. Le « rien » et l’angoisse jouent un rôle clé dans cette révélation. Pour y parvenir, il ne déploie pas une définition, une théorie, mais une pratique par l’exemple en tentant de répondre à une question afin qu’elle serve d’exemple et d’exploration.
L’importance de cette conférence est de contribuer à un renouveau des études sur la structure de la métaphysique, en révélant son unité historique et sa fin dans la technique moderne. Heidegger le signale lui-même dans sa postface de 1943 :
La question « Qu’est-ce que la métaphysique ? » pose une question qui va au-delà de la métaphysique. Elle procède d’une pensée qui s’est déjà engagée dans le dépassement de la métaphysique.
Dans ce projet de subsumer la métaphysique, ce n’est pas seulement une partie de la philosophie qu’Heidegger tente de repenser, mais de montrer combien c’est un événement dans l’histoire de l’Être. C’est aussi dire, peut-être d’abord, que la question de la métaphysique, si elle n’apparaît pas évidente à chacun, reste au cœur de la question de l’humanité-même, au fondement de toute philosophie.
Loïc Di Stefano
Martin Heidegger, Qu’est-ce que la métaphysique ?, nouvelle traduction de l’allemande et avant propos par Jean-François Courtine, Gallimard, « folio essais », juin 2025, 176 pages, 8,50 euros
On trouvera une analyse plus conséquente sur site de notre compagnon de route Marc Alpozzo.