Cherry, adieu au rêve américain

Premier roman d’un taulard

Nico Walker est en prison jusqu’en 2020. Comme son illustre aîné Edward Bunker, Walker écrit (on a du temps, beaucoup de temps en prison) en ruminant sur son roman et en « fictionnant » comme on dit en atelier d’écriture. Cela a donné Cherry, publié au printemps dernier par les Arènes dans la collection Equinox. Que dire de Cherry ? Déjà que c’est un roman coup de poing, on va vite pourquoi.

De l’amour au cauchemar

C’est l’histoire d’un jeune ado américain de la classe moyenne, celle qui est en train de mourir. Il a des parents cool, il a une vie normale. Et il glande au lycée, comme il se doit, avant de partir à la fac où il continue de glander. Et il se défonce de temps en temps. En fait, il ne sait pas quoi faire de sa peau. Et puis il rencontre Emily. Bien sûr, il tombe fou amoureux d’elle. Et ils s’aiment comme seuls deux adolescents peuvent s’aimer. En tout cas, Emily a la bosse des études tandis que lui qui aime se laisser porter. Au point de s’engager dans l’armée, d’y être formé comme infirmier et de partir en Irak. Là, il découvre la guerre et un pays totalement inconnu. Il soigne des américains, quelques irakiens. Il s’ennuie aussi, en pensant à Emily, qu’il a épousé et dont il redoute les infidélités. Heureusement :

Après avoir passé un certain temps en Irak, on a compris qu’il n’y aurait pas de test d’urine. Un beau geste de leur part, j’imagine.

Donc nous pouvions nous défoncer. »

Là-bas, il développe ses addictions. À son retour aux states, il divorce d’Emily, traîne avec d’autres filles et surtout ne se réadapte pas. Petit à petit, il tombe dans la dépendance à l’héroïne. Et Emily, avec qui le lien ne s’est jamais rompu, aussi. Il en vient à faire des braquages de banque, afin d’obtenir l’argent nécessaire pour leur offrir leur dope : un engrenage fatal.

Un roman noir sur l’Amérique et la drogue

Au printemps dernier, Gallimard a sorti Un silence brutal de Ron Rash qui décrivait avec acuité la dépendance à la métamphétamine dans le Sud des Etats-Unis. Cherry — le bleu dans l’argot militaire — est son pendant pour décrire la jeunesse de l’Amérique profonde,  celle du middle-west. Ici, on fait face à une réalité âpre, celle des jeunes qui font le choix de la drogue et de sa conséquence ultime, le néant. Le narrateur choisit l’armée sans enthousiasme, puis ce sera la drogue avec Emily, son aimée, pour fuir un monde dont il est un sujet passif. Il n’avait pas de rêves, plutôt des aspirations mais comment les faire prendre en compte par le monde des adultes ? Et puis l’adolescence n’est-elle pas ce moment délicat où nous risquons tous de mourir ?

Par sa description d’une jeunesse attirée par le vide et dévoré par la drogue,  Cherry frappe, heurte et secoue. Pas mal pour un début. Ne nous décevez pas pour la suite, Nico Walker.

Sylvain Bonnet

Nico Walker, Cherry, traduit de l’anglais par Nicolas Richard, Les arènes collection « Equinox », avril 2019, 432 pages, 20 eur

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