Nicolas Sarkozy, quelle identité pour la France ? À propos de « Promenades »

Dans un ouvrage intitulé sobrement Promenades (Herscher, 2021), l’ancien Président de la République, autant adulé qu’honni, fait paraître une courte méditation sur l’identité de la France, à travers laquelle il nous raconte les chefs d’œuvres de l’art et de la littérature française, qui l’ont particulièrement marqué et inspiré. S’éloignant progressivement de la politique, ou feignant de s’en éloigner, Nicolas Sarkozy nous montre une autre facette de l’ancien chef d’État, même s’il ne l’a pas tout à fait incarné durant son mandat (2007-2012), et qui devrait personnifier tout Président de la République, celle que revêt la figure de l’amateur d’art, du passionné de littérature, ce qui est, soit dit en passant, nous dit-il à raison, une expression même de l’identité française.

Promenades est à mi-chemin entre l’essai ou l’autobiographie intellectuelle et le livre d’art. Certains esprits chagrins, plutôt à gauche, j’entends le gauchisme culturel de notre époque, l’accuseront d’être un brin réactionnaire. Lorsque Nicolas Sarkozy était encore le chef de l’État, il eut droit à toutes les infamies et les moqueries, notamment sur sa taille, ses talonnettes, son inculture (en art et en littérature). Un philosophe alla jusqu’à l’accuser d’être « l’homme aux rats », ce dernier étant un communiste ayant soutenu le régime de Pol Pot, et insultant ses électeurs, en les réduisant à de pauvres bestioles qui se servent de l’homme providence pour échapper au naufrage de la France.

Des promenades au milieu des œuvres d’art qui font la France

Je sais que certains se gaussent d’entendre ainsi, depuis quelques mois, l’ancien président de la République nous parler avec minutie des romans de la littérature classique qu’il aurait lus, dit-il, ou des toiles de maîtres qu’il admire et qu’il n’a jamais eu de cesse d’admirer. Ces promenades regorgent d’ailleurs de références intemporelles, comme autant de rappels de ce que la France a su produire de grand et d’universel. Cela semble même tellement paradoxal avec l’image que l’on se fait du bonhomme, ou plutôt avec l’image façonnée dans notre esprit par les médias de gauche depuis deux décennies, que l’auteur de cet essai délicat s’est senti obligé de se justifier. Pourtant, comme dit la Reine d’Angleterre : « Never explain, never complain », ce qui peut se traduire par : « Jamais de plaintes, jamais d’explications (ou de justifications) ». Et c’est certainement la plus grave erreur de Sarkozy depuis les années 2000, tellement désireux d’être adoubé par ses adversaires, tellement enclin à plaire à la gauche culturelle, qu’il s’est si souvent liquéfié en justifications vaines… et inutiles car elles ont plutôt eu tendance à aggraver sa situation. D’abord, parce que la gauche culturelle ne reconnaît qu’elle-même et ses lunes, mais aussi parce qu’elle passe son temps à « nazifier » ses adversaires et à les mépriser, notamment à l’endroit de ses références culturelles, qu’elle n’a de cesse de contester, surtout lorsque celles-ci sont le reflet fier et glorieux d’une identité française, dont elle n’a cure.

Comment ne pas être Français et ne pas ressentir cette impérieuse nécessité ? Dans notre pays, la culture fait partie, ou en tout cas le devrait, des « biens de première nécessité ». Ma conviction est qu’au même titre que l’eau ou la nourriture, l’être humain a besoin de l’art pour vivre.

Un homme politique là où on ne l’attend pas

Voilà, le ton est posé. Bien sûr, les langues se délient, car on n’attendait pas Sarkozy sur ce champ-là, celui de la culture, de l’art et de la littérature, affirmant que l’œuvre d’art est « universelle » et qu’elle doit « se hisser au-dessus des langues, des cultures, des traditions, des différences. » Si cela paraît convenu pour un grand nombre d’entre nous, rappelons que Sarkozy est un homme politique de droite; rappelons qu’on l’a accusé de libéralisme outrancier, de racisme ou de xénophobie, d’inculture crasse, qu’on l’a « nazifié », « hitlérisé », alors même qu’il a pratiqué l’inclusivité avant tout le monde, son gouvernement ayant été le plus inclusif de tous jusqu’à ce jour. Ses propos sont donc étonnants, déconcertants, ébouriffants, et mettent mal à l’aise ses adversaires.

Mais ce qui est d’autant plus décoiffant pour ses contempteurs, c’est l’enjeu même de ce livre, dont le but n’est autre que de montrer que « l’enjeu national […] n’est ni plus ni moins que celui de l’identité nationale ». Face aux élites qui ont pensé jusqu’ici que l’on pouvait être à la fois « européen, mondialiste, humaniste, et revendiquer parallèlement la défense d’une identité nationale propre », l’ancien président de la République affirme tout l’inverse :

Quand il n’y a plus d’identité revendiquée et affirmée, alors, il n’y a plus rien à partager. L’identité, disait Claude Lévi-Strauss, n’est pas une « pathologie ». Le grand anthropologue avait raison, tout comme le vénérable poète martiniquais Aimé Césaire, qui scandait régulièrement : « À liberté, égalité, fraternité, j’ajoute toujours identité. Car, oui, nous y avons droit. » Un monde où les nations défendraient plus leur propre identité culturelle serait un monde sans relief et aplati, au service d’une seule langue, d’une seule culture médiane, d’un seul mode de vie. Il deviendrait inéluctablement un monde sans épice, sans charme, sans histoire.

Quelle identité pour la France demain ?

Si Sarkozy vole au secours de la culture dans son texte, son but est aussi de reposer la bonne vieille question de l’identité nationale de la France, à travers ses œuvres d’art et ses œuvres littéraires. Il exprime son admiration pour la sculpture, l’architecture, la littérature, les toiles de maîtres, nous proposant des « promenades » au milieu des chefs d’œuvres de Paul Cézanne, Eugène Delacroix, Paul Gauguin, Claude Monet, Michel-Ange, Édouard Manet, Léonard de Vinci, Vincent Van Gogh, Francis Bacon, Pablo Picasso, Georges Braque, Henri Matisse, Marc Chagall, etc. (la liste est bien sûr non exhaustive).

Le beau, le rare et l’exceptionnel

En mettant en avant ces artistes français connus, et certains moins connus, comme Gérard Garrouste, les orientalistes, les femmes peintres, ou des peintres « toujours vivants » comme Pierre Soulages, et dont « le succès qui ne se dément jamais montre l’appétence » du combat de l’ancien président pour le beau, le rare, l’exceptionnel, bref toutes ces valeurs qui tombent de nos jours en désuétude, ou, pis, qui sont honnis par la doxa dominante, au nom de valeurs plus inclusives et incertaines.

Au moment où les réseaux sociaux ne croient qu’à l’horizontalité des choses, la peinture et sa verticalité sont une grande source de réconfort. Elle est verticale, car le talent n’est pas donné à tout le monde. Il est précieux et rare. Tout ne se vaut pas. Les tableaux en sont la preuve éclatante.

Où est passé l’esprit de grandeur ?

Accompagné d’un cahier de tableaux et de manuscrits, Promenades remet l’église au centre du village. Il nous rappelle que, dans un monde où il n’y a plus d’esprit de grandeur, où l’identité nationale est foulée au pied, il n’y a tout simplement plus de futur, plus rien de précieux, plus rien de transcendant. Et l’on sait combien un monde sans transcendance est un monde presque éteint.

Marc Alpozzo

Nicolas Sarkozy, Promenades, Herscher, septembre 2021, 304 pages, 29 eur

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