Lutter contre les zombies, lucidité et aveuglement d’un démocrate américain

Un des meilleurs économistes de sa génération

Paul Krugman s’est fait connaître par les étudiants en économie dans les années 90 par son apport à la nouvelle théorie du commerce international, particulièrement sur les notions de rendement croissant et décroissant. Il est aussi un éditorialiste réputé, classé à gauche des démocrates, fidèle au keynésianisme. Il s’est fait connaître de l’opinion par des ouvrages comme Pourquoi les crises reviennent toujours (Seuil, 2000), L’Amérique dérape (Flammarion, 2004) — violente dénonciation de la politique économique de Bush jr — et L’Amérique que nous voulons (Flammarion, 2008).  Lutter contre les zombies rassemble des articles écrits pour le New Yorker dans les années 90, 2000 et 2010 (ou l’art de ne pas se fatiguer diraient des critiques énervés).

Un ouvrage partisan à usage interne

Dans Lutter contre les zombies, on sent à quel point Paul Krugman s’est investi dans le débat politique américain. Contre la politique menée par les républicains et même les démocrates parfois. Il bataille avec panache contre des idées « zombies », comme, citons pêle-mêle : baisser les impôts des riches relance l’économie, les inégalités ne sont pas un problème, l’ « Obamacare » est une réforme « socialiste » (Marx se retourne dans sa tombe), etc. pour un européen habitué à l’intervention de l’Etat ou à des systèmes publics de protection sociale (enfin, pour le moment), on a l’impression de découvrir un autre monde.

Krugman en tout cas souligne avec justesse à quel point le parti républicain est devenu l’otage de ses financeurs, comme les frères Koch, et s’est débarrassé de ses leaders centristes, comme John McCain. On sourit (jaune) avec Krugman quand il décrit ces républicains qui ont étrillé Obama pour les déficits du début des années 2010 (en toute logique keynésienne, ils ont limité la casse et permis à l’économie de repartir) et qui laissent filer ces mêmes déficits sous Trump. Aucune cohérence, sauf celle de vouloir le pouvoir et de délégitimer à tout prix les démocrates.

L’Euro ? Un problème

Mais Krugman s’intéresse aussi à l’Europe. Dès le début, il a analysé la création de l’Euro prévue par le traité de Maastricht comme une erreur historique, surtout sans un budget commun conséquent, autour de 20 % du PIB. Les articles consacrés à la crise grecque ou espagnole sont souvent justes. Reste, monsieur Krugman, que nous sommes piégés : la fin de l’Euro signifierait à court et à moyen terme un appauvrissement spectaculaire de certains pays, dont la France…

L’aveuglement

Il arrive cependant que notre analyste fasse preuve d’aveuglement, ainsi avec Donald Trump. Il le dénonce et le critique avec justesse. Des fake news à ses mensonges à répétition, rien à redire, bien au contraire, sans parler du racisme du président américain. Mais sa politique commerciale vis-à-vis de la Chine aurait mérité plus de nuances, surtout venant d’un spécialiste du commerce international. La politique protectionniste de Trump a du sens vis-à-vis d’un pays qui ne respecte pas par exemple les normes en matière de brevets ou de propriété intellectuelle. L’UE, elle aussi victime des tweets et des attaques de l’hôte de la maison blanche observe avec intérêt les efforts de Trump en la matière.

Pourquoi cet oubli ? Est-il lié à d’anciennes convictions comme quoi seul le libre-échange est bon pour l’Amérique et pour le monde ? En tout cas, cela empêche Krugman de comprendre pourquoi tant d’ouvriers ont voté pour lui en 2016, particulièrement dans l’ancienne « Rust Belt ». Le racisme n’explique pas tout.

La politique de Trump ne fonctionnera pas sur nombre d’aspects (relancer le charbon en plein réchauffement climatique : ce serait drôle si ce n’était pas dramatique), mais comme les chiffres macroéconomiques sont (encore) bons…

Un bon livre en tout cas qui aide à comprendre l’Amérique d’aujourd’hui et aussi l’aveuglement de certains démocrates, qui risque de leur coûter cher en novembre prochain…

Sylvain Bonnet

Paul Krugman, Lutter contre les zombies, traduit de l’anglais par David Rochefort, Flammarion, janvier 2020, 386 pages, 22,90 eur

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