Eurafrique, une face cachée de la construction européenne

Une énigme

Ce livre pose une question oubliée depuis les années 60 : est-ce qu’il y a un lien entre la construction européenne et les empires coloniaux européens ? A priori non puisque la construction européenne est contemporaine du processus de décolonisation. Deux historiens suédois, Peo Hansen et Stefan Jonsson, ont repris les archives et proposent ici avec Eurafrique, paru à La Découverte, de reprendre le dossier, avec quelques surprises.

Faire l’Europe par l’Afrique ?

C’est effectivement le souhait de certains publicistes et hommes politiques après la boucherie de la Grande Guerre, qui a vu d’ailleurs l’Allemagne perdre ses colonies africaines. On a ainsi un Allemand, Richard Coudenhove-Kalergi qui s’empare de cette thèse et la popularise dans les années 1920, faisant du continent africain un Eldorado pour les européens et les invitant à y émigrer (un comble si on regarde l’histoire récente). Des hommes politiques comme Albert Sarraut se font aussi l’apôtre de cette thèse. Il y aura même l’entame de négociations avec le IIIe reich pour l’intéresser à ses nouvelles colonies… A l’appui de cette thèse, disons bien que Georges-Henri Soutou dans Europa ! (Tallandier, 2021) a démontré que l’Afrique était bien une préoccupation de l’Axe. Bien des projets furent échafaudés dans le secret des chancelleries…

Un projet européen… et africain ?

De fait, l’ouvrage de Peo Hansen et Stefan Jonsson se concentre beaucoup sur la période des années cinquante. Il y eut bel et bien interpénétration entre d’une part la construction européenne et d’autre part les questions coloniales. L’Afrique (sans compter l’Algérie française !) fut au cœur de bien des débats, Adenauer et Spaak, hommes formés intellectuellement au temps où l’Europe dominait le monde, ayant des arrière-pensées économiques visant le continent noir. Sans compter des velléités géopolitiques de réaffirmer une spécificité européenne en pleine guerre froide. Cependant une des limites de l’ouvrage qui s’arrête à la signature du traité de Rome et à ses conséquences immédiates, est de ne pas voir dans les années 1960-1990 le déclin relatif des échanges entre communauté européenne et Afrique, bientôt décolonisée, même si les accords de Yaoundé ont une grande importance pour perpétuer des relations inégales, parfois empreintes d’une culture néocoloniale. Cela eut de l’importance, même si la France garda des liens spécifiques et très contestables avec ses anciennes colonies.

A lire.

Sylvain Bonnet

Peo Hansen et Stefan Jonsson, Eurafrique, traduit de l’anglais par Claire Habart, préface d’Etienne Balibar, La Découverte, mai 2022, 374 pages, 24 euros

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