Pouvoirs de la lecture, de Platon au livre numérique
Musique, philosophie et lecture
Musicologue autant que philosophe, Peter Szendy a de l’oreille : il l’applique ici à la lecture. Invoquant Platon ou Cicéron, il rappelle que le maître disposait d’un esclave, souvent fort cultivé, qui lui faisait la lecture
Ainsi la lecture requérait au moins trois protagonistes : il y a la voix déposée dans le texte, le lecteur qui lui prête la sienne, et l’auditeur. Notre auteur est un dandy de l’intellectualité, il « concepte » à tout va, à la manière des philosophes des années 70, tel Derrida qui fut son maître, Guattari ou Deleuze, il raffole des néologismes. Qu’importe l’exactitude, si la trouvaille est jolie ! Il nomme donc l’esclave-lecteur l’anagnoste (du grec ἀναγινώσϰειν qui veut dire lire, tout simplement), et l’auditeur, celui à qui on lit, le lectaire…
Pour lire on est trois

Aujourd’hui que l’on ne lit plus à voix haute, on retrouverait la même structure : apparemment nous serions seuls lorsque nous lisons un texte. En fait nous sommes doubles : en nous une voix plus ou moins intérieure, qu’on appelle parfois subvocalisation, une voix mentale dénuée de son, joue le rôle du dit anagnoste. Pour notre autre moi, lire consisterait à écouter le premier – peut-être même lui intimons-nous l’ordre de lire, à la manière d’un maître ?
Peter Szendy déroule sa réflexion en illustrant à sa manière Benjamin, Heidegger, Sade, Blanchot, Hobbes, Calvino… De Valéry il reprend sa description du déclin de la lecture :
« Pendant des siècles, la voix humaine a été la base de la littérature »
Elle avait sa lenteur, aujourd’hui le rythme de la lecture s’accélère. On ne lit plus, dit-il, on voit – on regarde maintenant les écrans pour un rapide aperçu. Notre voix intérieure se tairait, elle aussi…
Alors disparaitrait ce que Michel de Certeau appelait la lecture absolue. Pour lui, le lecteur irait au-delà du texte, l’écrit serait le sol qui lui permettrait de prendre son appel. Il y aurait une créativité du lecteur. Il écrit :
« L’autonomie de l’œil suspend les complicités du corps avec le texte ».
La lecture serait aussi une invention…
Je ne fais ici qu’évoquer quelques aperçus, ils ne font que donner à entrevoir la richesse de ce livre. On aura compris que sa lecture est… exigeante.
Mathias Lair
Peter Szendy, Pouvoirs de la lecture – De Platon au livre électronique, La Découverte « Poche », août 2025, 232 pages, 11,50 euros