L’économie du livre : un écosystème de plus en plus fragile
Pour les littéromanes quelque peu curieux, voici une description détaillée de ce que l’on nomme la « chaîne du livre » – que l’on peut comprendre comme une suite d’acteurs qui seraient autant de maillons, de l’auteur qui est l’origine du livre à son lecteur, en passant par l’éditeur, l’imprimeur, le diffuseur, le distributeur, et le vendeur qui est encore souvent un libraire.
L’auteur, cet inconnu

L’auteur, le premier maillon, est une création récente qui date du XVIIIème siècle : en 1777, un arrêt du Conseil du roi décide qu’il faut le « récompenser de son travail » par un privilège, qui sera remplacé au moment de la Révolution par un « droit ». Il faudra attendre 1957 pour que soit défini un Code de la propriété intellectuelle : l’auteur reste propriétaire de son œuvre, il en cède par contrat l’exploitation à un éditeur qui s’engage à fabriquer, publier et vendre l’œuvre, à lui en rendre compte et le rémunérer, sachant que l’auteur conserve un droit moral relatif à son intégrité : il peut en interrompre l’exploitation s’il estime qu’elle est dénaturée, il en est le seul juge.
Le grand public a comme image de l’auteur celle du bestseller. Ils sont rares, la plupart des auteurs pratiquent un second métier, ce qui est facile à comprendre : l’auteur reçoit en moyenne 8% du prix de vente, soit 1,6 euros pour un livre coûtant 20 euros… Le tirage moyen est actuellement de 4000 exemplaires, il dégage 6 400 euros de droits d’auteur… C’est dire qu’on n’écrit pas pour vivre : on vit plutôt pour écrire… Par ailleurs, on ne connait pas la population des auteurs : selon les différentes enquêtes, elle serait comprise entre 5 000 et 60 000 !
Un métier à risque
Les données concernant les éditeurs sont plus précises. Il faut tout d’abord remarquer que l’édition est un métier à risque : on ne sait jamais si un livre va se vendre, seulement de 20% à 40% des publications s’avèrent rentables. Puisqu’ils tirent à l’aveugle, ils choisissent de plus en plus la mitrailleuse plutôt que le fusil : le tirage moyen était de 12 000 exemplaires en 1985, il est aujourd’hui de 4 000, mais le nombre de parutions a explosé : de 51 900 titres en 2000 à 111 503 en 2022…
L’édition actuelle est marquée par une forte concentration. Hachette est le groupe prépondérant, loin devant Editis, Media participation et Madrigall. Dans la frange des grands groupes survivent 10 000 petites maisons d’édition que l’on qualifie d’indépendantes, et dont la moitié possède moins de 10 titres… Elles représentent néanmoins plus de 10% du chiffre d’affaires global de l’édition, et surtout 30% des nouveautés publiées chaque année !
La diffusion consiste à promouvoir le livre notamment grâce aux représentants qui visitent les libraires. La distribution assure le stockage et le traitement comme la livraison des commandes. Le taux de retour opéré par les libraires est de de 20%. Comme les éditeurs publient de plus en plus en limitant les tirages, les retours sont de plus en plus fréquents… et les livres en plus en plus absents des présentoirs. En étant propriétaires des diffuseurs-distributeurs, les plus grands groupes dominent leurs concurrents qui ont besoin de leurs services en matière de diffusion-distribution. Il leur arrive souvent de finir par les racheter…
Il existerait plus de 20 000 points de vente, les 3 500 vrais libraires représentant 23% des parts de marché, derrière les grandes surfaces culturelles (28%) mais devant les supermarchés (18%). La rémunération des libraires provient de la remise de 30% à 40% que les diffuseurs leur accordent, celle-ci leur permet de dégager un taux de rentabilité de 1%, pas plus. Le métier de libraire s’apparente souvent à une vocation !
Le développement du e-commerce et de l’édition numérique vient d’introduire une nouvelle concurrence. Google hier et l’IA aujourd’hui pillent les œuvres en dépit des lois sur la propriété intellectuelle. En 2020, Google se vantait d’avoir constitué un fonds numérisé de plus de 40 millions d’ouvrages en 400 langues. Cette société a été condamnée en France par la justice pour contrefaçon.
Où sont passés les lecteurs ?
Depuis 1980, de génération en génération, la pratique de la lecture diminue de façon continue et sans doute irréversible. La faute aux écrans ? Les français lisent en moyenne 31 minutes par jour, ils passent 3 heures et 21 minutes sur leur écran de manière quotidienne. 15% des français se déclarent non lecteurs. Et quand ils lisent c’est de moins en moins de façon continue : ils papillonnent. En 1973 la proportion de lecteurs assidus était de 28%, elle est de 15% en 2018. L’école aurait sa part de responsabilité ! En imposant la lecture aux élèves, elle en ferait un devoir rébarbatif.
L’apparition du numérique a modifié les habitudes, elle favorise la lecture discontinue, et active, alors que le livre invite à une lecture continue, et passive. On pratique désormais « l’hyperlecture », qui consiste à naviguer à partir de liens hypertextes, à interagir avec des textes, et à s’ouvrir à d’autres médias.
Trois défis
En conclusion, les auteurs définissent trois défis à relever par l’industrie du livre : parvenir à composer avec les géants de l’internet et de l’IA ; s’adapter aux pratiques de lecture à la fois en recul et plus diversifiées ; réduire les impacts environnementaux afin de s’adapter à la transition écologique.
Tel est le tableau, fait d’ombres et de lumières, de forces et de fragilités, que dressent les auteurs de cette étude. Philippe Chantepie est inspecteur général au ministère de la Culture, Louis Wiart est titulaire d’une chaire en communication à l’Université libre de Bruxelles. Ils nous livrent ici une somme à la fois dense et détaillée.
Mathias Lair
Philippe Chantepie & Louis Wiart, Économie du livre, La Découverte « Repères », parution mai 2025, 128 pages, 11 euros