Économie du cinéma de Philippe Chantepie et Thomas Paris
Me voici bien embarrassé
Je vous résume la situation. N’ayant rien à voir avec le Bernard Pivot de la grande époque, ne croyez pas que je reçoive toutes les publications ayant un rapport plus ou moins lointain avec le cinéma. Que nenni ! En réalité, se présentent trois cas de figures : les livres que l’on demande aux attaché(e)s de presse et que l’on reçoit ; ceux que l’on demande et que l’on reçoit jamais (cas le plus fréquent) et, enfin, ceux que l’on n’a jamais demandé mais que l’on reçoit quand même.
Or donc, un beau matin, j’ouvre ma boite aux lettres pour y découvrir une blanche enveloppe. À l’intérieur s’y trouve un opuscule de petit format portant pour titre Économie du cinéma. Inutile d’aller plus loin, ce n’est pas pour moi. Autant je m’y connais (un peu) en cinéma, autant je n’y connais rien en économie (j’ai dû avoir 2 au Bac). Mes seules certitudes sont que les gens du cinoche sont payés trop chers pour des résultats peu satisfaisants. Et je ne parle pas uniquement des acteurs.
Toutefois, mû par une curiosité qui me renvoie à ma prime jeunesse, je tourne l’ouvrage pour découvrir le CV des auteurs. L’un est inspecteur général au ministère de la Culture, l’autre est chercheur au CNRS. Cela ne fait qu’enfoncer ma certitude que ce livre n’est pas pour moi. Des fonctionnaires appointés qui prennent sur leur temps de travail pour pondre un ouvrage didactique. Bravo ! Allez, adieu messieurs et merci de me rembourser ma part d’impôt tombée dans vos escarcelles.
Mais…
Ah oui, il y a un mais, sinon cette aventure n’aurait aucun intérêt (déjà qu’elle n’en a pas beaucoup). Ne voici pas que l’audace me prend d’ouvrir le pensum ! Et que vois-je en page de garde ? Hein ? Roulement de tambour…
J’y vois deux dédicaces ! Connaissant les pratiques des maisons d’édition, je sais que les auteurs signent des livres avec des formule passe partout, les attaché(e)s de presse se chargeant ensuite de les distribuer aux journalistes et autres critiques. Mais là, l’un des auteurs a noté mon nom et mon prénom. « À Philippe Durant, bien sincèrement. » Je crois deviner qu’il s’agit de Thomas Paris puisque la signature démarre sur un T tonitruant (l’autre auteur ne cite pas mon nom et ne signe pas non plus, se contentant d’une gribouille — faut dire que travailler sous Roselyne Bachelot — si je puis ainsi m’exprimer — doit être exténuant).
Bref, une dédicace à mon nom. Voilà mon orgueil touché au vif. Ce M. Paris me connaît-il ? A-t-il lu mes bouquins qui, comparés à son analyse, sont autant de gribouillis face à un Vermeer (de Delft) ? J’en reste pantois. Et gêné. Car cela me gêne de jeter ce livre dans la caisse « pas lu, pas pris » maintenant que je sais que les auteurs se sont fendus d’une dédicace. Ils doivent compter un peu sur moi quand même. Et c’est pour cela que me voici bien embarrassé.
N’écoutant que mon courage — qui me pousse à retourner à mes Astérix favoris — je fis en sorte de lire cette Économie du cinéma d’un bout à l’autre.
Non, cela ne m’a pas réconcilié avec l’économie. Pourtant ce livre contient une foule d’informations qui — si elles avaient été mieux réparties et mieux présentées (c’est-à-dire pas sous la forme d’une thèse universitaire) — auraient été passionnantes.
Il faut s’aventurer dans des phrases sans fin, lire attentivement les paragraphes pour découvrir des pépites. Et elles sont nombreuses. Les auteurs s’efforcent de faire le tour du sujet, partant du financement du cinéma pour aboutir à sa distribution. Donc, comme moi y en a pas être économiste : de l’argent que l’on y injecte jusqu’à l’argent que l’on récupère. Toi y en as compris ? Et ce pas seulement en France mais aussi ailleurs dans le monde (y compris Hollywood, of course).
Ipso facto on est très loin du cinéma récompensé par des César, Oscar et autres récompenses confraternelles (d’ailleurs rarement fraternelles). Je suis d’ailleurs étonné que, dans leur introduction, les auteurs parlent du cinéma comme d’une « forme artistique ». Désolé messieurs mais il y a belle lurette que le cinéma n’est plus art, si tant est qu’il le fut.
Donc on apprend beaucoup de choses sur l’envers du décor, sur les cordons de la bourse (voire de la Bourse) à travers ces pages. À commencer par la répartition du prix d’une place de cinéma (bon, je savais déjà mais peut-être pas vous). Dans leur volonté d’être didactiques, les auteurs enfoncent parfois des portes ouvertes, enfilent les évidences mais font souvent preuve de pertinence. Ils soulèvent par exemple le problème du prix de la place (problème qui me taraude depuis ma première entrée dans une salle de cinéma, dans un siècle précédent). Pourquoi diable tous les films sont-ils au même tarif ? Que je sache, les livres d’une librairie affichent des prix différents. Alors pourquoi payer la même somme pour un machin de super-héros et pour un film d’auteur qui a du mal à survivre ?
Pour conclure
Je dis bravo à messieurs Philippe Chantepie et Thomas Paris (et pas seulement pour leurs dédicaces). Bravo pour la somme d’informations collectée ; bravo pour avoir cerné les problèmes au plus près. Mais, de grâce, sortez de vos ornières ! Apprenez à partager votre savoir sans vous montrer pesant jusqu’à l’étouffement. Vous disposez des éléments pour faire un livre grand public et vous vous contentez de viser des esprits supérieurs qui ont passé plus de temps sur les bancs des universités que dans les fauteuils des salles de cinéma. Dommage. Ne transformez plus une Tropézienne en étouffe-chrétien !
Pour terminer, je tiens à faire savoir aux futurs auteurs, que le coup de la dédicace est désormais éventé. Mon égo les appréciera toujours mais elles ne déclencheront plus forcément une lecture ! Quoique…
Philippe Durant
Philippe Chantepie et Thomas Paris, Économie du cinéma, La Découverte, mars 2021, 128 pages, 10 euros