Almería 68: des stars, du sable et des larmes par Philippe Lombard

Le petit dernier de Philippe Lombard – l’historien du cinéma qui publie plus vite que son ombre – s’intitule Almería 68. Le 68 est important, parce que, bien sûr, comme tout le monde sait, Almería a été l’un des hauts lieux de tournage des westerns italiens, à commencer par ceux de Sergio Leone, mais, par une étrange conjonction astrale, ce fut aussi, au début de l’année 1968 – avant que Mai n’éclate – une espèce de mini-Hollywood européen peuplé d’acteurs et de réalisateurs de différentes nationalités. Les précédents ouvrages de Philippe Lombard se présentaient généralement comme une collection de vignettes. Celui-ci, remarquablement composé, a des allures de symphonie.

Donc, début 1968, Robert Hossein, toujours escorté de Michèle Mercier, mais ayant bouclé avec elle le cycle des Angélique, s’attaquait à un western plus français qu’italien, pas plus mauvais qu’un autre, mais pratiquement passé inaperçu, Une corde, un colt… (à ce titre un peu appliqué on pourra préférer pour cette histoire de vengeance la poésie désespérée du titre espagnol, Cimetière sans croix). La légende dit que Sergio Leone, qui n’était pas loin, aurait dû y faire un cameo, et qu’Hossein devait lui rendre la pareille dans Il était une fois dans l’Ouest, mais on ne sait trop pourquoi cela ne se fit pas. Autre western, américain celui-là, et catastrophique, Shalako, réalisé par Edward Dmytryk et starring Sean Connery et Brigitte Bardot. C’était l’une des tentatives du premier pour échapper définitivement à James Bond – essai en l’occurrence non transformé. Quant à Bardot, il avait été sérieusement question qu’elle interprète dans Au service secret de Sa Majesté le rôle qui échut finalement à Diana Rigg, mais si, là encore, on en croit la légende, elle préféra shalaker avec Connery lorsqu’elle apprit que Bond, dans sa nouvelle aventure, allait être interprété par un inconnu nommé George Lazenby.

On ne va pas énumérer ici tous les gens qu’on croise et qui se croisent au fil des pages de l’ouvrage, dont certains, du fait de leur mauvais caractère (profil Richard Harris), ne font d’ailleurs que passer ou, inversement, du fait d’un fâcheux concours de circonstances, restent là à ne rien faire (cas de René Clément). Signalons simplement que Michael Caine était à Almería pour tourner dans Play Dirty (en français raffiné, Enfants de salauds), film de guerre et dernier film d’André de Toth (l’un des borgnes célèbres d’Hollywood) ; que Herbert Biberman vint jusque-là pour rencontrer Stephen Boyd (shalakiste de second rang) et le convaincre de jouer dans son film Slaves ; que l’ombre de Gainsbourg est là via Bardot ; que celle de Jane Birkin se profile à travers Gainsbourg et également à travers son scénariste de frère (en l’occurrence location manager pour Play Dirty), Andrew Birkin.

Beaucoup de monde, donc, mais beaucoup de mélancolie aussi, dans la mesure où toute cette période – d’environ trois mois – apparaît comme une parenthèse. À la fête succède l’inévitable grisaille des lendemains de fête, remarquablement traduite par un ultime chapitre où Philippe Lombard résume – comme on le fait dans les cartons du générique final de certains films – ce que chacun des personnages de l’histoire a fait après. D’aucuns ont su poursuivre ou relancer leur carrière – ce fut surtout le cas de Sean Connery –, mais Almería a pratiquement cessé aujourd’hui toute activité cinématographique pour se livrer à un autre type de production, qui n’exclut toujours pas les navets – les fruits et légumes.

FAL

Philippe Lombard, Almería 68. Hugo Doc, mai 2025, 238 pages, 19,95 euros

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