Le Brun et le vert, quand les nazis étaient écologistes

Partant des travaux du biologiste allemand Haeckel, Philippe Simonnot établit la longue filiation qui va de ce précurseur de l’écologie politique aux nazis. Tous ceux qui voient en l’écologie une vertu essentiellement et fondamentalement de gauche vont sans doute s’étouffer. Mais Le Brun et le vert avance suffisamment d’éléments historiques pour, sans être irréfutable, au moins ouvrir à la discussion.

Racisme, antisémitisme, et écologie

Le biologiste allemand Haeckel était un brillant savant, et un admirable dessinateur, dont les œuvres font toujours référence de nos jours (1). C’est lui l’inventeur de l’écologie, du terme et du concept. Et il était foncièrement, intégralement raciste et antisémite. Son disciple Walther Schoenichen, qui a inspiré le nazisme vert en réutilisant la théorie de Darwin pour le moins scientifique darwinisme social — qui permet de classer les peuples en races, et d’établir une échelle de valeur entre elles… —, a inspiré la politique écologique du Troisième Reich. Et si l’équivalent allemand de la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) ainsi que de nombreuses autres associations de défense de la nature, saluent la prise de pouvoir par Hitler, c’est d’abord pour se féliciter d’un avenir meilleur pour la planète.

Le programme du IIIe Reich est , quant à lui, très écologique lui-même. Hitler est hanté par le désastre écologique qu’a été la Première guerre mondiale. A tel point que les exigences écologiques semblent parfois aller à l’encontre de l’ambition industrielle. Mais, comme pour la politique raciale, c’est l’exemple américain qui sert au IIIe Reich : la destruction de la nature et l’exode des paysans. Citant Alwin Seifert, ami de Rudolph Hess et chargé de la planification industrielle auprès du ministre du Reich Fritz Todt :

Les programmes gouvernementaux à courte vue menace de créer des problèmes en Allemagne semblables à ceux dont souffrent les Etats-Unis. L’indifférence capitaliste et la méga-puissance financière juive ont produit une catastrophe environnementale qui a forcé des milliers de fermiers américains à se déplacer.

Antisémite et inhumain, les nazis conservent une vision humaniste, au sein seul du Reich, et veulent y créer un pays idéal et verdoyant.

Les nazis écologistes

Le 1er juillet 1935, un an et demi après l’arrivée au pouvoir d’Hitler, est votée la loi sur la conservation de la nature, d’autres qui ont précédé et suivront, de l’Animal Slaughter Act à la loi Shoeshine (1940) sur l’abattage et la pêche et des animaux sanglants. Réglementation de l’éclairage et de la ventilation des écuries pour l’agriculture (1938). Des mesures que même nos écologistes ont prises ou peuvent prendre. Il faut dire qu’Hitler n’était pas le seul amoureux de la nature. Rudolph Hess ne jure que par les remèdes homéopathiques, Göring veut des parcs nationaux pleins d’animaux, Himmler, architecte de la solution finale, également initiateur du « développement écologique des régions de l’Est » !

Bien sûr, l’engouement écologiste et le darwinisme sociale feront choisir aux nazis les populations à protéger et les autres à détruire, mais il reste malgré cela une certaine vérité : celle de la surpopulation mondiale. Il existe dans Mein Kampf, dans lequel la nature est divinisé, de nombreux passages où Hitler — qui aimait dominer le monde, la nature-même, du haut de son nid d’aigle, alerte sur la surpopulation et l’impossibilité de croissance infinie de l’humanité. Bien sûr, ses conclusions visent à l’hégémonie des aryens dominant, soumettant, contrôlant les autres peuples, mais le constat demeure une question qui revient régulièrement interroger l’avenir de l’humanité.

L’environnementalisme nazi, comme chez les écologistes d’aujourd’hui, va de pair avec la haine des individus, du peuple, du capitalisme, de la propriété privée et du christianisme. A la fin de son livre, Philippe Simonnot écrit : « Il faudrait aussi réfléchir aux traces du nazisme dans l’animalisme, la xénophobie, le culte de Gaïa, le néo-paganisme, l’anti-libéralisme sévit aujourd’hui dans de nombreux milieux écologistes. Cela fera l’objet d’une future enquête… ». Il a tout à fait raison, mais malheureusement il ne pourra plus le faire.

Un héritage difficile à accepter, sans doute. Mais les faits sont tenaces. Et il faut louer le travail de Philippe Simonnot qui, dans Le Brun et le vert, remet en avant une vérité historique le plus souvent oubliée…

Loic Di Stefano

Philippe Simonnot, Le Brun et le vert, quand les nazis étaient écologistes, les éditions du Cerf, novembre 2022, 188 pages, 19 euros

(1) Citons entre autres L’Art et la science de Ernst Haeckel, Taschen, 40e édition en 2020.

(2) Stéphane François, chercheur au CNRS, a étrangement oublié, dans on étude Les verts-bruns : L’écologie de l’extrême droite française (Le Bord de l’eau, 2022) cette source…

PS : Philippe Simonnot est décédé quelques jours seulement avant la parution de son essai. On regrettera qu’il ne puisse pas défendre sa thèse contre les réfractaires et les idéologues.

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