Ça tourne mal… à la télé ! – L’Histoire méconnue et tumultueuse des séries

Philippe Lombard est un dangereux récidiviste, mais il faut dire aussi que la matière sur laquelle il travaille est riche et probablement inépuisable. Or donc, il a commencé avec un volume intitulé simplement Ça tourne mal !, sur les contretemps, mésaventures et imprévus apparus avant ou pendant le tournage de divers films français. Puis il a franchi l’Atlantique pour voir les choses du côté américain avec Ça tourne mal… à Hollywood ! Arrive aujourd’hui le volume 3 de ce qui est pour l’instant une trilogie mais qui pourrait bien devenir tétra — qui sait ? (1) —, Ça tourne mal… à la télé. Mille choses peuvent arriver qui mettent en péril la réalisation d’un film, mais bien plus encore peuvent survenir quand il s’agit d’une production destinée à la télévision, puisque, le plus souvent, on parle de séries, autrement dit d’entreprises de longue haleine s’étalant sur plusieurs mois – avec de toute façon, au terme de chaque saison, l’épineuse question de savoir si une autre saison suivra (la dégringolade de l’audience a parfois entraîné des conclusions expédiées en trois coups de cuiller à pot, concentrés caricaturaux de la saison qui aurait dû suivre).

Parmi les différents cas de figure, citons en vrac — mais Philippe Lombard en offre une classification beaucoup plus méthodique : la mort d’un comédien au cours d’un tournage (cf. le héros de la série Spartacus, par exemple) ; l’accident invalidant qui interrompt tout pour une durée indéterminée (accident automobile de Chantal Nobel écartant définitivement la perspective d’une deuxième saison de Chateauvallon) ; scandale, gros ou petit, faisant s’écrouler, au moins temporairement, le prestige d’une célébrité (Schwarzenegger devait être le héros d’une série animée pour les kids quand la presse révéla qu’il avait eu un enfant hors mariage ; Pee-Wee Herman vit son show annulé du jour au lendemain à la suite d’un attentat à la pudeur). 

Séries bisbilles

Mais le cas le plus intéressant est sans doute celui des vedettes de télévision qui, fortes de leur triomphe sur le petit écran, se prennent à rêver d’un triomphe analogue sur le grand. Steve McQueen, avant d’être un comédien de cinéma, avait été le héros de la série Au nom de la loi, cependant que Clint Eastwood, avant d’être propulsé au firmament des dollars de Sergio Leone, avait trimé dans une série — là encore western — qui n’avait alors guère dépassé les frontières des États-Unis, Rawhide. Michael Douglas avait, lui, beaucoup couru dans les Rues de San Francisco avant  de devenir le héros de Liaison fatale. Les reconversions sont possibles, donc, mais tout le monde n’est pas Steve McQueen ou Clint Eastwood ou Michael Douglas. Quand la Drôle de Dame Farrah Fawcett entreprit de poursuivre sa carrière au cinéma, elle n’obtint que des succès mitigés, alors même que la critique saluait la qualité de certains de ses films (parmi lesquels Extremities, l’un des premiers efforts faits pour traiter à l’écran de façon honnête la question du viol). Sarah Michelle Gellar ne réussit guère mieux quand elle déposa au vestiaire sa tenue de chasseresse de vampires de Buffy.

Anecdotes que tout cela, diront certains. Oui, peut-être. Mais anecdotes si nombreuses — car rien n’échappe au bénédictin Philippe Lombard — que finit par s’en dégager ce qu’on appellera, faute de mieux, une morale, qui est que l’art, si spirituelles que soient ses aspirations, ne saurait échapper aux contingences matérielles. Claude Lelouch se plaît à rappeler, très pertinemment, que le tournage d’une scène dépend toujours des circonstances et qu’un acteur n’interprétera pas son rôle tout à fait de la même manière selon qu’il aura ou non un gros rhume ce jour-là. Claude Brasseur a interprété son personnage avec une canne dans Radio Corbeau parce qu’une simple écharde avait entraîné une grave infection de son pied. Mozart lui-même devait « remonter » toutes ses partitions d’un ton quand il découvrait, juste avant un concert, que la cantatrice engagée pour la circonstance n’avait pas la voix assez grave.

Mais c’est justement cette contradiction permanente entre idéal et réalité terre à terre (et dans celle-ci on inclura les caprices insupportables de certaines stars) qui fait l’art. Et tout, d’ailleurs, ne tourne pas forcément mal. Les cinéphiles qui n’ont que mépris pour les doublages sont bien forcés de reconnaître que la véheffe d’Amicalement vôtre ou de Chapeau melon et bottes de cuir est souvent bien meilleure que la vého.

FAL

Phlippe Lombard, Ça tourne mal… à la télé ! – L’Histoire méconnue et tumultueuse des séries, éditions La Tengo, novembre 2022, 143 pages, 22 euros

(1) Signalons qu’il existe déjà, du même Philippe Lombard et dans la même collection, mais sur un thème sensiblement différent, un volume intitulé Ça s’est tourné près de chez vous !

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