Michel Rocard, le grand homme de la gauche

De l’originalité rocardienne 

Pierre-Emmanuel Guigo s’est déjà intéressé à la figure de Michel Rocard (1930-2016) via sa communication. Il a ainsi publié Le Chantre de l’opinion (INA éditions, 2013) où il se penchait sur les techniques utilisées par Rocard, particulièrement en termes de marketing électoral, de média-training ou son utilisation des sondages. Il publie une biographie consacrée à l’homme de la Deuxième gauche, rival malheureux de François Mitterrand. C’est aussi l’occasion de revenir sur un homme qui a échoué à se faire élire président tout en contribuant à transformer pendant trois ans ce pays. 

Du protestantisme à la gauche 

A la suite de Jean-Louis Andréani (Le Mystère Rocard), Pierre-Emmanuel Guigo souligne le poids de l’éducation protestante dans la construction politique de Michel Rocard. Même devenu athée, Rocard gardera du calvinisme une grande exigence morale, un goût pour l’austérité et aussi une attitude de minoritaire. Car il fut toute sa vie minoritaire tant à la SFIO qu’au PS, le PSU apparaissant quant à lui comme une espèce de secte de minoritaires !

Contre la volonté de son père, Rocard choisit Science po et le service public. Ancré à gauche, il se passionne pour l’économie et sera toute sa vie un partisan du keynésianisme. Militant anticolonialiste, il se battra pour l’indépendance de l’Algérie et dénoncera les désastreuses conditions sanitaires régnant dans les tristement célèbres camps de regroupement. Dans les années 60, Rocard est au PSU et est un partisan de Mendès-France. Mais ce dernier se dérobe, s’enferme dans son refus de la constitution de la Ve République et laisse la place à François Mitterrand… 

Un homme politique moderne ? 

On l’a vu, Rocard est un des premiers à intégrer des techniques de communication modernes. Et aussi à intégrer l’impact de la télévision, contrairement à Mitterrand qui mettra longtemps à domestiquer le petit écran. Sorti du gauchisme tactiquement stérile du PSU, Rocard rejoint le PS et se construit une image d’expert économique, d’homme honnête. Il échoue cependant à prendre la place de Mitterrand. Malgré toute sa modernité, Rocard n’est pas un bon tacticien. Ou comment l’ancien monde bat le nouveau… 

Un bilan contrasté 

N’en déplaise aux thuriféraires de François Mitterrand, les premières années de la gauche au pouvoir sont un désastre économique. Le coût des nationalisations intégrales (Rocard prescrivait des montées au capital à 51%), la dégradation du solde commercial, l’inflation alimentée par les mesures sociales ont conduit le PS à l’échec. Rocard, ministre mineur, n’a cessé de prédire les difficultés et avait raison. Keynésien, il s’offusque du tournant néolibéral piloté par Fabius & co en 1984.

Empêché en 1981 de se présenter, l’histoire se répète en 1988. Mitterrand le nomme cependant à Matignon et il se révèle un excellent premier ministre. Citons le rétablissement de la paix en Nouvelle-Calédonie avec les accords de Matignon, la création du RMI et de la CSG, la réforme de la langue française, la refonte de la grille de rémunération des fonctionnaires, la réforme des services de renseignements : n’en jetez plus, le bilan est très bon. Mais Rocard est viré en 1991 et ne réussit pas à rebondir.  

Michel Rocard, député des Yvelines, secrétaire national du Parti socialiste unifié, participe au traditionnel défilé des travailleurs, le 1er mai 1971 à Paris. Photo Staff.AFP

Destin inachevé 

Il est ensuite emporté par la débâcle des socialistes en 1993. S’il réussit à prendre la tête du PS grâce à une alliance avec Jospin et Mélénchon, il et ne pourra pas se présenter aux présidentielles suite à son échec aux européennes (merci Tapie, merci Mitterrand). On pourra lui reprocher de ne pas avoir pris la bonne mesure du problème posé par le voile à Creil. Pour le reste, Rocard fut un homme d’État, de gauche, courageux. A l’instar de Philippe Séguin à droite, il laisse derrière lui une nostalgie. Celle d’un temps où la politique était sérieuse et non une affaire de clowns. Et ne parlons pas de ses soi-disants héritiers ! De Strauss-Kahn à Valls, tous aussi pitoyables qui ne font que souligner la valeur de Rocard…

Cette solide biographie de Michel Rocard par Pierre-Emmanuel Guigo donne parfois envie de pleurer mais doit être lue. 

Sylvain Bonnet 

Pierre-Emmanuel Guigo, Michel Rocard, Perrin, février 2020, 450 pages, 23 eur

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