Pierre Mauroy, le dernier des socialistes
Déjà auteur d’une biographie de Michel Rocard (Perrin, 2020), Pierre-Emmanuel Guigo, maître de conférences en histoire contemporaine à Paris-Est Créteil, a décidé de s’attaquer à une figure un peu oubliée du socialisme français (sauf à Lille), Pierre Mauroy. La figure du premier des Premiers Ministres de François Mitterrand.
De Guy Mollet à François Mitterrand

Le parcours de Pierre Mauroy (1928-2013), c’est un peu l’ancien monde que détestait certains thuriféraires d’Emmanuel Macron. Fils d’instituteur et descendant d’une lignée de bûcherons, Mauroy s’inscrit aux jeunesses socialistes où il croise le jeune Michel Rocard, un ami avec qui la relation sera toujours compliquée. Devenu enseignant, il passe par le syndicalisme et il est repéré par le grand patron de la SFIO, Guy Mollet. Devenu permanent du parti, le jeune Mauroy apprend les manœuvres d’appareil auprès de ce vieux renard déconsidéré par son rôle dans la guerre d’Algérie. Mais Mollet finit par se méfier de Mauroy, très social-démocrate dans son approche et déjà en sympathique avec François Mitterrand. Le congrès d’Alfortville voit la naissance du nouveau parti socialiste avec Alain Savary à sa tête (un opposant à Mollet du temps de la guerre d’Algérie, le temps guérit tout) et la rupture avec Mauroy. Ce dernier prend sa revanche à Epinay en 1971 en soutenant François Mitterrand, qui n’était pas socialiste avant le congrès ! Mauroy apporte à ce dernier une caution ouvrière, laïque qui, on doit bien le dire, lui faisait défaut.
Du Parti et de l’État
Socialiste, Mauroy l’était au fond de ses tripes. Il était issu du peuple et voulait agir pour améliorer son sort, à Lille comme à la tête de l’Etat. Il n’a pas hésité à s’opposer à Mitterrand en 1978 avec Rocard pour ensuite se rallier au futur président, seul candidat crédible en 1981 (et malgré l’échec de 1974). S’il fut un bon maire de Lille, passé dans l’histoire, comme Premier ministre le bilan est plus complexe. Il dut avaliser la fermeture de nombreuses usines, celles des mines au nom de l’équilibre budgétaire et du tournant de 1983 : si le choix fut le seul rationnellement positif, ce fut le début des renoncements pour la gauche qui mena au désastre de la présidence Hollande dont Mauroy est totalement exempt. Homme de principes, refusant par exemple de saluer la main de Botha, premier ministre de l’Afrique du sud sous le régime de l’Apartheid, Mauroy incarnait une forme de socialisme proche des gens du peuple. On peut lui reprocher beaucoup de choses mais au moins lui laisser ça. Et puis aussi un langage, une intelligence politique, une capacité à s’adresser à tous. Il est le seul dont Mitterrand regretta de se séparer. Il joua aussi un rôle positif à la tête de l’internationale socialiste, aujourd’hui devenu un « machin » dont tout le monde se moque.
Une biographie qui se dévore. Le monde d’avant, très loin d’être parfait, avait aussi des qualités.
Sylvain Bonnet
Pierre-Emmanuel Guigo, Pierre Mauroy le dernier des socialistes, Passés composés, octobre 2024, 359 pages, 23 euros