Charles Pasqua, un paladin dans l’ombre
Pierre Manenti, avant d’être historien, est passé par l’assemblée nationale et différents cabinets ministériels de droite. On lui doit une biographie d’Albin Chalandon (Perrin, 2023) et un ouvrage passionnant paru l’année dernière chez Passés composés, Les barons du gaullisme. Il revient en cette année 2025 avec une biographie d’un personnage majeur de l’histoire du néo-gaullisme (c’est-à-dire le gaullisme après la mort du Général), Charles Pasqua.
Un itinéraire singulier

Disons-le tout de suite, Charles Pasqua a toujours senti le souffre, y compris pour l’auteur de ces lignes, pourtant admirateur de Philippe Séguin. On est pourtant en face d’un personnage qui symbolise la méritocratie républicaine, petit-fils de berger corse et fils de policier, jamais passé par l’ENA ou une grande école, qui devient ministre de l’Intérieur. C’est aussi un jeune adolescent qui choisit de suivre son oncle (qui était communiste) puis son père dans la Résistance, prend des risques inouïs, fait le coup de feu lors de la Libération. Gaulliste inconditionnel, il choisit d’adhérer au RPF, se fait remarquer par son militantisme et son sens de l’organisation. Pasqua choisit ensuite de travailler pour Ricard où il se montre un excellent commercial. En 1958, malgré sa sympathie initiale pour la cause de l’Algérie française, il soutient à fond le général de Gaulle et semble beaucoup moins mêlé aux barbouzeries de l’époque qu’on ne l’a dit, si on croit Pierre Manenti. Homme du SAC, Pasqua se révèle très efficace lors de la crise de mai 68 (c’est un des organisateurs de la manifestation du 30 mai) et est enfin élu député. Mais de Gaulle part en 1969 et meurt en 1970 : Pasqua est alors orphelin et Pompidou se méfie de lui et de sa mauvaise réputation (les américains le croient lié à des criminels de la French connection). Heureusement, il va trouver un nouveau champion.
Avec et sans Chirac
Pasqua connait Chirac depuis les années soixante, il a vu son talent, son charisme. En 1974, il choisit de le soutenir contre les barons, espérant ainsi sauver le gaullisme. C’est le début d’une longue amitié, faite de hauts et de bas. Pasqua apporte ses réseaux et son sens de l’organisation des campagnes électorales à Chirac. Plus proche des idées de Pierre Juillet et Marie-France Garaud, il reste dans l’entourage de Chirac après 1979 avec ces derniers. Pierre Manenti raconte avec brio leurs combats communs, la déception de 1988, le désamour mutuel entre les deux hommes. Pasqua va se rapprocher de Séguin pour un combat perdu d’avance en 1990 face à Chirac et Juppé, puis lors du référendum de Maastricht en 1992. Contrairement à Séguin, Pasqua soutient Balladur pour la campagne de 1995 : il y a ici un côté de déception presque amoureuse chez « tonton Charles ». Si le contact n’est jamais rompu, Pasqua ne sera pas ministre du président Chirac. Il ose même la rupture lors des européennes de 1999 et son alliance avec Villiers. Chirac a-t-il encouragé la sortie des affaires contre lui ? Ce n’est pas impossible, mais il aurait suivi ici l’école de son mentor.
Un personnage trouble
Car ses liens, indirects, avec le milieu ont desservi Charles Pasqua : citons la connexion avec Etienne Leandri, ancien souteneur et surtout ancien membre du PPF de Doriot, un peu gangster. Et il y en a d’autres. Au SAC, Pasqua a trempé dans des affaires de financement pas clair (avec ses « amis corses »), côtoyé des personnages de « sac et de cordes » (belle expression que j’emprunte à Mitterrand) et s’est parfois servi d’eux. Pierre Manenti le note mais défend « Charles ». Et au fond pourquoi pas. Le personnage est sympathique, bon client des médias. Surtout Pasqua, en vrai politique d’avant, aime les gens. Sait leur parler. Est proche d’eux. Le contraire des politicards actuels et de leur com’ à tout va. Le premier flic de France a aussi compris, grâce en partie à Séguin, les dangers des conséquences du traité de Maastricht. Et il a toujours été un lanceur d’alerte à ce niveau. Personnage intransigeant, gaulliste inconditionnel et fidèle à ses engagements de jeunesse (je me rappelle du jour où il avait fustigé avec un brio consommé Éric Zemmour, lorsque ce dernier défendait Pétain dans Un suicide français), Charles Pasqua mérite en tout cas de voir son itinéraire relu et analysé, ce que fait Pierre Manenti.
Sylvain Bonnet
Pierre Manenti, Charles Pasqua, dans l’ombre de la République, Passés composés, janvier 2025, 432 pages, 23 euros