Rencontre avec Fang Fang, premier voyage immobile en URSS

Ses somptueuses Funérailles molles, sorties en août 2016 dans une maison d’édition au nom très éloquent de « Littérature du peuple », ont d’emblée connu un vif succès en Chine. Le roman s’est vu, quelques mois après sa sortie, couronné du prix Lu Yao (1),  autant pour ses qualités littéraires que pour le sérieux de son travail historique. Hélas en Chine contemporaine, comme en maints lieux du monde en maintes saisons et occasions, la sagacité du proverbe : « Pour vivre heureux, vivons cachés » s’est pleinement vérifiée quand les Autorités, par le fumet du succès, alertées, en sont venus à s’y intéresser. Dénoncée par les cadres du Parti, « cette herbe hautement venimeuse » s’est vue, sans le secours d’aucune interdiction formelle, arrachée. Le roman, il est vrai, revenait sur un épisode non encore revisité : la pacifique « Réforme agraire ». Certes, il avait fallu, aux dirigeants chinois confesser, pour le bien du doux commerce mondial, les menus excès du « Grand bond en avant » et de « la Révolution culturelle » mais l’épisode « Réforme agraire » demeure encore soumis au diktat de la narration d’État : un franc succès pour peu de victimes. Les spécialistes, en l’absence de chiffres précis, avancent un coquet décompte : entre 1 et 5 millions de morts mais comme le disait si joliment le poète Joseph Staline, « un mort c’est une tragédie, un millier de morts, une statistique ». Sans être interdit le livre donc disparut des vitrines comme des étals. Une à une les librairies l’ont déclaré « indisponible » et après quelques mois de survie sur la toile, les plates-formes ont elles aussi cessé par magie de fonctionner. 

Pourtant Fang Fang a reçu l’autorisation de se rendre en France. La logique, Ionesco ou Babel ne me contrediront pas, constitue rarement l’apanage des pays totalitaires. À l’Est comme à l’Ouest, l’important ne gît-il pas, entier, dans l’art de la communication. Fang Fang est donc libre, pas prisonnière mais… 

On l’a vue à Saint Malo illuminer de sa forte présence le salon des Étonnants voyageurs, à Vannes, à Brest, à Nantes et à Angers, enfin à Paris, invitée de la librairie Gibert du Treizième arrondissement.  À cette occasion, j’ai eu le privilège de la rencontrer dans un petit bureau de la section asiatique de l’INALCO, pavoisée en son honneur, en présence de la formidable Pascaline Siméon, en charge des relations Presse du bureau Sabine Arman et une non moins ravissante très jeune interprète asiatique, étudiante vingtièmiste, qui termine une thèse de Lettres consacrée à Marguerite Yourcenar.  

J’avais pris grand soin, considérée l’ambition de mes questions,  de les lui faire tenir à l’avance… Peine perdue, Fang Fang savait seulement que j’avais consacré un fort élogieux article à son roman — toutes les attachées de presse devraient être capables d’écrire un courriel comme celui que Boojum a reçu, car enfin pour que j’accepte, débordée comme tout un chacun, de lire et de chroniquer  l’ouvrage de 460 pages  d’un écrivain chinois dont je n’avais jamais entendu parler sans m’être de ma vie jamais intéressée à la Chine qu’en passant,  il avait fallu qu’elle se montrât persuasive — je la remercie une nouvelle fois ici, ayant peu lu d’auteurs contemporains aussi bons que Dame Fang Fang et de longtemps un roman aussi impressionnant. 

Nous voici donc, Pascaline et moi, dans le petit bureau aux larges fenêtres du département asiatique. Fang Fang enchaîne les entretiens, elle prend à peine le temps de boire un peu d’eau après le départ de mes prédécesseurs, consulte son portable, lève les yeux, sourit : elle est à nous. En l’occurrence à moi, qui — Fang Fang et Pascaline l’ignorent — pour la première fois, me livre à l’exercice. 

Je pose les yeux sur Fang Fang et ne lui voudrais pas d’autre visage. Elle me devance, me remercie le plus civilement du monde d’avoir consacré un article tellement élogieux à son livre ; en retour, j’entonne mes grâces : 

Moi : Tout d’abord, laissez moi vous dire, Madame, combien votre roman m’a, non pas séduite mais impressionnée, remplie d’admiration. Dès la première ligne : « Cette femme est depuis toujours en lutte contre elle même », j’ai voulu savoir ce qui la ravageait, la divisait. Quand j’ai eu terminé ma lecture, mon sentiment dominant fut la joie d’avoir découvert un classique vivant : un écrivain contemporain, capable de faire œuvre de cette commune nécessité de poursuivre le voyage en dépit de l’horreur, la charge de la brigade Histoire, la « grande hache » disait Perec. 

Tout en parlant, je contemple Fang Fang et me réjouis de lui trouver le visage si lumineux. Les yeux surtout pétillent d’intelligence et un charme certain émane de sa personne. Aucune pose chez elle.  Un écrivain est un travailleur comme un autre. Un instant, ignorant ce qui va suivre, j’accorde ce rare mérite au communisme. Chez nous, les metteurs en scène et les auteurs, qui ne pouvaient ouvrir la bouche sans affirmer « Moi, qui suis communiste », ne m’avaient jamais paru différents d’autres figures mainstream, tous également occupés à se construire, puis à tenir vaille que vaille, unpersonnage. D’ailleurs, la plupart des écrivains français ou belges s’échinent à s’en fabriquer un jusqu’à le faire passer bien avant leur œuvre, ce qui n’est pas forcément monnaie courante à l’étranger.  Pour la première fois de ma vie, je rencontre un écrivain dont j’admire l’œuvre sans réserve et qui ne craint pas de livrer en pâture au public sa personne et non son personnage.  Rien que pour cet instant où Fang Fang a posé les yeux sur moi, je n’ai pas regretté d’avoir un instant abandonné mon vieux Paris pour m’aventurer en l’étrange et angoissant no man’s land mitterrandien de la TGB, à côté duquel la misérable rue de Tolbiac m’est, ce jour là, apparue comme le plus délicieux des séjours.   

Seconde surprise : traduits par l’interprète, mes dix maigres mots semblent en être devenus deux bon cents ! Je sais l’heure de la rencontre publique qui suivra, série donc mes questions, m’efforce et réussit à les faire toutes ou presque tenir en quelques mots, voire quelques lignes. Peine perdue. La gracile interprète allonge démesurément mes propos. Ici, comme souvent, je regrette fort mon inculture crasse et peste de ne savoir, non pas des rudiments de chinois, seulement un peu du caractère de la langue. 

Quelques questions forcément insuffisantes : 

Moi : Partie, comme nombre d’écrivains européens, aux lendemains de la Seconde guerre mondiale du néo-réalisme, qui exige documents et observations, vous avez choisi d’affronter les mensonges de la narration officielle et son corollaire obligé, le silence, découvrant au fur et à mesure de vos recherches que seule l’amnésie autorise en partie la survie. Vous avez donc construit votre remarquable roman sur cette frange labile entre nécessaire et impossible oubli, espace commun à la Cité et à l’individu. Surtout, vous avez posé la seule question qui vaille en semblable contexte : de l’oublié au futur, comment survivre, vivre ? 

Telle était la question écrite. Je l’ai formulée autrement en deux brève questions et choisi de laisser pour le moment tomber les affaires de narrations officielles. 

Fang Fang m’a simplement raconté que l’histoire était vraie que le grand-père d’une de ses amis, devenu vieux, répétait en boucle « Funérailles molles » et qu’elle a simplement souhaiter en savoir davantage. 

J’ai enchaîné sur le point le plus remarquable à mon avis de son travail d’auteur l’écriture du lien corps/mémoire admirablement à l’œuvre dans l’ensemble du roman.  

Elle m’a remerciée d’y avoir prêté attention.   

En fait la question initiale sur le néo-réalisme provenait de l’étonnement ressenti par les lecteurs de Fang Fang que j’avais entendu quelques mois auparavant à la librairie asiatique du Bd Sébastopol s’étonner d’un « changement notable d’écriture ».  J’aurais voulu lui dire à elle que, quoique je n’ai pas lu ses autres œuvres traduites, que Visconti et Pasolini avait tout d’abord été des « néo-réalistes » et puis que la réalité s’étant révélée tellement folle et barbare, ils l’étaient demeurés en se faisant baroques mais il s’agissait là une question trop vaste, trop spécifique, trop éloignée de son texte, compte tenu du temps qui nous était imparti et de mon impossibilité de pouvoir mener l’entretien en anglais. La réponse de Fang Fang : j’ai collé à un fait vrai et j’ai mis en œuvre mon savoir d’écrivain, suffisait à prouver qu’elle avait observé et noté le désespoir des vieillards et des malades, privés de tout rapport à leur corps et deviné que cette séparation les plongeait tous presque sans exception dans cette amnésie- antichambre de la mort et qu’elle avait, avec le métier qui est le sien, travaillé son texte à travers les infimes instants de retour de fragments de mémoires corporelles : une odeur,  le goût d’un alcool, d’un mets.  Eux seuls reconduiraient son personnage vers l’enfer de ce qu’elle s’était donné pour tâche de rapporter. Tout naturellement ensuite, elle avait par exemple imaginé que les mains de la vieille femme s’étaient souvenu savoir l’art de la broderie et qu’ainsi la grand-mère s ‘était rappelé, l’ayant brodé jeune fille, un poème : ce qui, aux yeux de ses interlocuteurs, soudain, fit d’elle à nouveau la lettrée dont chacun ignorait l’origine.  

Que voulait elle rapporter sinon ce que fut, pour une caste de Lettrés qui vivaient dans leurs provinces comme vivaient en Sicile avant la révolution menée par Garibaldi, le prince de Salina ses métayers et ses hommes de peine, loin de l’autorité centrale, à l’abri des fonctionnaires, la vie la plus digne qui se puisse et comme cette existence se vit en 1947 soudain déclarée criminelle ? Rapporter comment et non pourquoi cette même autorité centrale avait formé et réalisé le vœu de se débarrasser de cette caste et de tous ceux qui, de près ou de loin, coulaient sans déplaisir des jours heureux à ses côtés, chacun à une place et librement soumis à un ordre désormais contestée par le Parti.  Romancière, elle raconterait ce grand massacre, ce génocide culturel du point de vue interne d’un personnage, trop choqué pour même s’en souvenir… Le génie souvent gît dans la simplicité et la manière dont le récit se déploie à travers de micro-sensations corporelles en constitue le plus coruscant des paradigmes.  

Moi : Qu’est-ce qui dans le développement de la Chine actuelle vous a poussée à revenir sur ce moment occulté qu’a constitué la Réforme agraire ?   

A ceci, elle a simplement répondu qu’elle n’avait pas été la première et rappelé que la mort du grand-père de son amie avait été l’occasion de cette expérience littéraire. 

Moi : Diriez-vous que cette Mère-courage amnésique, remontant, palier par palier, l’escalier de la mémoire, s’engageant avec une vaillance sans pareille dans les cercles infernaux du récit, condamnée à se souvenir, en dépit de l’indifférence affichée par le commun — trop occupé à survivre ou à s’enrichir et à entrer dans le cœur de la modernité — a l’exact visage de la Chine ? 

Fang Fang m’a répondu que beaucoup ne veulent pas se souvenir et que la Chine nouvelle est entrée cahin-caha dans l’espérance. 

Alors j’ai insisté. Parlé de l’angoisse de la jeunesse-occidentale, évoqué ses craintes, ses angoisses, sa terreur : pollution-réchauffement climatique, extinction des espèces…  la quasi certitude de cette jeunesse d’appartenir au dernier carré, assiégé entre la possible voire probable disparition d’une planète, option Trans humaniste et retour d’archaïsmes que les générations de leurs pères et grands-pères  estimaient impossibles. 

A ceci elle a répondu que tout allait mieux, que les jeunes Chinois lui paraissaient épatants et qu’elle croyait en un avenir meilleur.    

Le désespoir ne saurait, luxe d’Occidental, constituer une option pour la Chine, j’aimerais bien poursuivre le dialogue mais l’interprète me fait comprendre qu’il serait malséant d’insister davantage… 

Moi : A l’Occidentale inculte que je suis, pouvez vous dire quelques mots du statut de la mémoire dans l’histoire de la Chine ? 

Pas eu de réponse à cette question 

Moi : Quels liens entretenez-vous, par la lecture ou l’amitié, avec d’autres romanciers occidentaux que taraude la nécessaire écriture non pas de témoignage mais de cet espace entre oublié et futur ? Faulkner, Sebald, Beckett, Perec, Modiano, Anna Langfuss, Chessex….  La liste est innombrable, tant cette problématique qui clôt votre roman a mis la plume à la main aux meilleurs : 

Certains choisissent d’oublier, d’autres de tout noter. Chacun vit en fonction de ses choix personnels. Et c’est bien ainsi. » 

Quelles parts de sagesse et d’humour se cachent derrière cette phrase qui clôt votre roman ? 

A cette double question, elle a répondu qu’elle avait lu Flaubert, Maupassant, Balzac, Proust et Garcia Marquez, qu’elle considérait comme ses maîtres.  Je dois donc convenir que le sujet et lui seul, exigeant de naître, impose sa forme aux écrivains véritables. Un jour peut-être je m’intéresserai à la Chine et saurai si Faulkner, Sebald et Modiano y sont arrivés. Sainte Ignorance, fichue Indifférence, je me souviens des dazibaos sur les murs du Quartier latin mais j’ignore ce que lisent les intellectuels chinois !    

Ensuite, elle s’est refusé à avouer aucun humour et tient pour le libre choix de chacun à oublier ou à se souvenir. 

Moi : Non sans malice, vous ajoutez encore que l’idée du vrai en ce monde est soumise à un certain nombres d’alea aussi factuels (chacun voit midi à sa porte) que psychologiques. Endoctrinement, habitude, issues des affaires etc. déforment à l’envi les perceptions humaines, que le passage du temps rétablit à moins qu’il n’en efface jusqu’au souvenir. La loi d’homéostasie médicale, appliquée à la psychologie vaut autant pour les individus que pour les cités… mais il est certaines torsions qui rendent le futur invivable. 

Là encore, elle s’est contenté de redire que tout irait, qu’il fallait croire en l’avenir, qu’elle était mère et qu’elle se voyait dans l’impossibilité de ne pas y croire. J’ai trouvé très belle cette réponse.  

Moi : Pensez-vous que les morts sans sépultures se vengent et réapparaissent dans les angles morts du politique comme ils le font dans les psychés humaines ?

Là encore pas de réponse, seulement l’expression renouvelée de sa foi en l’homme et en l’avenir.  

Moi : Avez vous des exemples de ces retours dans la politique chinoise ? 

Je n’ai pas posé cette question. 

Moi :  Comment imaginez-vous, qu’après un siècle de traumatismes et de violences indicibles, la Chine puisse survivre, vivre, sans se désâmer totalement ? 

Celle-ci non plus je ne l’ai pas posée, connaissant les réponses.  

Moi : Je voulais aussi vous demander comment vous avez travaillé : documents d’archives, témoignages etc., la part de fiction dans la création de vos personnages, bref j’aimerais que vous nous fassiez l’honneur de nous introduire un peu dans vos cuisines.  

Elle m’avait devancée et j’en savais assez : elle était partie de l’importance du thème des « funérailles molles » (2) dans le délire de pré et d’agonie d’un vieillard, en a découvert le sens, enquêté avec rigueur et ensuite a composé son parfait mécano, avec l’habitude, le talent et le métier qui sont les siens. Tout le reste, les numéros de starlettes de nombre de ses consœurs occidentales sur l’inspiration, l’empathie, le Moi au travail, le féminin en elle, Fang Fang les ignore et c’est sans doute une des raisons qui expliquent l’excellence de son œuvre. La blessure existe, elle s’appelle le silence, pas celui qu’exalte sans vergogne La Douleur de Duras, mais le silence des forêts, abrasées par la hache de l’Histoire. Fin du coup. Saluts et respects, Madame. 

Moi : Avez vous l’impression que l’homme se change en statue de sel s’il se retourne ou si, au contraire, il convient d’inventer un retournement actif (le sens du geste littéraire) pour demeurer vivant, car enfin l’enjeu de toutes ces affaires tient au statut que l’écrivain, coûte que coûte, prétend maintenir à l’être humain, chosifié et ensauvagé par la violence et détruit par tous les dogmatismes ? 

 Cette question aussi je l’ai gardée pour moi.   

Aussi pour terminer, je voulais vous demander, si vous avez l’impression, qu’à l’instar du silence post-génocides qui a servi d’énergie aux écrivains de l’après 45 en Europe et en Amérique, le silence chinois a servi de combustible à l’art romanesque de manière douloureusement parallèle à ce phénomène noté par W.G. Sebald aussi par R.W. Fassbinder que l’oubli a constitué le meilleur des charbons à la rapide reconstruction allemande.  

Celle-là aussi pour moi seule 

Plus intéressante au fond non pas ma question mais la réponse que Fang Fang lui apportera : 

Quelles cicatrices dans le monde rural les événements que vous rapportez dans Funérailles molles ont-ils laissées ? 

Pratiquement qu’en est-il aujourd’hui ? 

Elle n’a répondu qu’à la seconde partie de la question en me racontant que jeune journaliste, elle était souvent venue en zone rurale, que la misère y était patente et que les conditions d’insalubrité lui semblaient si terrifiantes qu’elle s’évertuait toujours à retenir ses besoins naturels et qu’aujourd’hui, la prospérité revenait peu à peu. 

J’avais prévu de terminer comme ça : 

En vous remerciant encore, vous, votre exceptionnelle traductrice, Brigitte Duzan et les éditions de l’Asiathèque, d’avoir permis au lecteur français de poser un orteil sur seuil de l’enfer chinois et d’y avoir éprouvé combien la mondialisation est davantage une communauté de destins qu’une guerre et une paix économiques, surtout qu’au delà des contextes, votre récit témoigne pour l’ensemble des humains.  En un mot, au-delà des réformes agraires et des délires de tables rases (l’actualisation du vieux concept romain de « damnatio memoriae » imposant l’amnésie à une collectivité), des livres comme le vôtre autorisent une possible reconstruction de l’idée de l’homme après le passage de l’ange de l’Histoire, jumeau monozygote de l’ange de la mort.   

J’ai seulement pris congé, la remerciant le plus chaleureusement du monde de m’avoir reçue en dépit de la fatigue d’une tournée-éclair dans le grand Ouest français et avant une ultime séance publique. Elle m’a, en retour, vivement remerciée d’avoir si intensément lu son livre et pour mes questions. Nous nous sommes toutes deux déclarées fort heureuses d’avoir fait connaissance. 

Je suis rentrée à pied, songeant, durant cette traversée du monde annoncé et déjà à l’œuvre dans cette odieuse architecture de « style international » du Grand Paris, tellement brutale, inamicale et presque post-humaine, combien la « liberté d’expression » n’était pas un vain mot. Miracle post communiste, j’ai aussi fait repentance. Contrairement à ce qu’affirment certains intellectuels, nous avons encore en France un outil pour faire entendre le juste, aussi devais-je, en dépit de tout ce que je reproche au « cher vieux pays », en dépit de tout ce qui affecte et entrave mon existence « professionnelle », me réjouir d’être née rue Saint Pierre à Neuilly et non pas en Chine, d’avoir grandi Place des Fêtes et non Place Tiananmen à Pékin, encore Place des Héros à Vienne … Ceci est un truisme. Je sais. Il faut me le pardonner. En arrivant à la hauteur de la gare de Lyon, je me suis surprise à chantonner Aragon sur un air de Léo Ferré, Est-ce ainsi que les hommes vivent…  

Sarah Vajda

(1) Cf. le blog de Brigitte Duzan, exceptionnelle traductrice du livre : tout ce que vous voulez savoir sur la Chine contemporaine et sa littérature ! 

Prix Lu Yao, du nom d’un écrivain qui avait consacré sa courte vie — quarante-deux ans — aux conditions d’existence respectives des villageois et des citadins depuis 1947. 

(2)  Les Chinois donnent le nom de « funérailles molles » aux enterrements ou cérémonies sans cercueils. Même les personnes incinérées réclament un cercueil. On retrouvera la même chose chez Thomas Bernhard, qui demandera un cercueil de bois modeste comme les juifs, en souvenir de ceux qui furent gazés et brûlés par les nazis à l’immense satisfaction de ses compatriotes. Il s’agit toujours de faire mémoire d’un corps en lui offrant une place en souvenir de son passage terrestre.  

Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :