Richard Harris, biographie, par Michael F. Callan
« Je ne voudrais pas qu’on se souvienne de moi pour ces films à la con, mais je crois bien que c’est ce qui va m’arriver. » De fait, pour les jeunes générations, Richard Harris est très probablement connu uniquement pour son rôle d’Albus Dumbledore dans les deux premiers Harry Potter, mais, s’il n’a pas la célébrité de ses camarades Richard Burton et Peter O’Toole, il suffit de le voir dans une séquence très brève de Pleure, ô pays bien-aimé pour savoir qu’on tenait avec lui un grand acteur. En l’espace de quelques secondes, et sans le secours de quelque effet spécial que ce soit, il vieillit de vingt ans, le personnage qu’il interprète étant brutalement anéanti par la nouvelle de la mort d’un être cher.
Et s’il n’a pas toujours tenu des premiers rôles, sa filmographie, à côté d’un certain nombre de films alimentaires qu’il était le premier à définir comme tels, inclut des titres qui, pour une raison ou pour une autre, occupent une place importante dans l’histoire du cinéma. Citons, en vrac, Le Désert rouge d’Antonioni, Major Dundee de Sam Peckinpah, Impitoyable de Clint Eastwood, Le Convoi sauvage de Richard Sarafian, Traître sur commande de Martin Ritt, Gladiator de Ridley Scott, ou encore la trilogie Un homme nommé Cheval. À cela il convient d’ajouter toute une carrière théâtrale, ignorée du public français, et, plus ignorée encore, une carrière de chanteur.
C’est la vie et l’œuvre de cet Irlandais « turbulent », dont l’alcoolisme n’avait rien à envier à celui de Richard Burton et Peter O’Toole, déjà cités, que son compatriote Michael F . Callan retrace dans un volume de plus de cinq cents pages, dont la traduction française (qu’on aimerait peut-être un peu plus rigoureuse) paraît ces jours-ci. Callan n’en est pas à sa première biographie d’acteur. On lui doit déjà un Sean Connery (premier ouvrage sérieux sur le comédien, paru dans les années quatre-vingt, et bientôt réédité en France), un Julie Christie, un Jayne Mansfield, un Anthony Hopkins, et un Robert Redford. La supériorité de ce biographe sur ses confrères, c’est qu’il est lui-même du bâtiment cinématographique, puisqu’il est aussi scénariste et réalisateur, et donc plus à même de suivre les méandres de la carrière d’un comédien aussi insaisissable que Harris. Se combinaient en effet en celui-ci une révolte quasi permanente vis-à-vis du monde et une véritable dévotion à l’égard de son métier, qui lui commandait de remplacer Burton au pied levé quand celui-ci, du fait de sa mauvaise santé, n’était plus en mesure de poursuivre une tournée théâtrale. Le comédien Rod Taylor (héros des Oiseaux d’Hitchcock) expliqua que les étranges contradictions qui caractérisaient souvent le comportement de Harris s’expliquaient par un désir inébranlable chez celui-ci d’atteindre à la perfection.
Entretien avec Michael Feeney Callan
Comment avez-vous été amené à écrire des biographies de comédiens ?
Je me suis lancé dans ce genre littéraire à la suite d’une remarque que m’avait faite le vénérable comédien Ray McAnally (1). J’avais écrit le scénario d’une série télévisée de six épisodes, The Burke Enigma, sur une famille de criminels irlandais. Tout en me félicitant pour mon travail, McAnally m’a fait comprendre que j’avais des progrès à faire dans la compréhension de la psychologie humaine. J’ai toujours aimé les grandes biographies – celle de Samuel Johnson par James Boswell, ou celle de Joyce par Richard Ellman, ou encore celle d’Hemingway par Hotch (A.E. Hotchner). Ce sont les modèles que j’ai voulu suivre.
On dit souvent qu’une biographie est dans une certaine mesure une autobiographie du biographe.
Ce n’est pas moi qui dirai le contraire. Je pense qu’on ne peut s’attaquer à la rédaction d’une biographie sans se livrer préalablement à un examen de soi-même et de sa propre existence. J’ai, très tôt, étudié la self-investigation avec des psychiatres aussi respectés que le Professeur Anthony Clare (présentateur des années durant de l’émission In the Psychiatrist’s Chair sur BBC Radio 4) ou que le regretté Professeur Ivor Brown.
Comment choisissez-vous vos « sujets » et quel type de rapports entretenez-vous avec eux ?
Cela dépend des cas. Pour Sean Connery, j’ai d’abord voulu obtenir son accord, ce qui m’a permis de recueillir les témoignages de gens de sa famille, en particulier de son frère Neil, qui a été d’une aide précieuse. Pour Anthony Hopkins, il y a eu un contrat écrit et les rapports ont été moins directs. Il a commencé par m’écrire qu’il venait d’obtenir un Oscar pour Le Silence des agneaux, en 1992, puis, l’année suivante, qu’il avait été fait chevalier (Knight Bachelor). Il n’avait plus trop envie de parler de lui-même, mais il est intervenu auprès de la BBC et d’autres organismes pour que je puisse avoir accès à des archives. Pour Robert Redford et Richard Harris, il s’est agi d’une véritable collaboration, longue, amicale, sur plusieurs décennies. Nous sommes restés en contact de temps à autre, mais, si vous voulez mon avis, un biographe doit toujours maintenir une certaine distance vis-à-vis de ses sujets s’il veut éviter d’avoir une perspective faussée.
Votre prochain livre est consacré aux « femmes des Beatles ». Qu’est-ce qui vous amené à vous pencher sur ces dames ?
Le nouveau visage du féminisme et la réévaluation du rôle des femmes dans la société. Le projet consistant à envisager, à travers une histoire orale des femmes (recueillie par une homme…), les phénomènes des sixties libérées et ce qu’il est convenu d’appeler la révolution de la jeunesse m’est apparu comme un défi. Je suis heureux d’avoir entrepris l’ascension de cet Himalaya.
Propos recueillis par FAL
(1) Ray McAnally (1926-1989) est un comédien (et metteur en scène) irlandais apparu entre autres dans les films Cal, Mission, Le Sicilien, Le Quatrième Protocole, My Left Foot. Il devait reprendre, dans The Field de Jim Sheridan, le rôle de « The Bull » qu’il avait interprété au théâtre, mais il mourut brutalement à la suite d’une crise cardiaque et fut remplacé par Richard Harris.
Michael Feeney Callan, Richard Harris – Biographie, La Trace, novembre 2024, 570 pages, 26 euros.