Rien ne t’appartient, sauf la douleur qui maintient en vie

La mémoire du corps, Tara 

« Rien ne t’appartient » dira-t-on à cette petite fille qui a tout perdu de la douceur de l’enfance en quelques secondes. Cachée par son père dans un coffre pour qu’on ne l’abatte pas froidement comme ses parents, elle en sortira vivante mais abîmée à vie.

Fille d’un homme engagé politiquement, refusant de se soumettre, prônant la liberté et l’émancipation, il voulait que sa fille danse, chante, lise, compte et joue. Il voulait qu’elle aime le Dieu de son choix ou qu’elle n’en choisisse pas. On lui disait qu’il valait mieux qu’il ferme sa bouche. Un jour, on l’a fait taire pour de bon.

Rien n’appartient à Tara, même pas son corps. Peut-être juste la douleur, cette immense douleur qui le maintient en vie.

Cette histoire, assez brève en fin de compte emporte le lecteur dans une danse parfois sans points et sans virgules. Cette vague, cette ondulation qui viennent vous saisir très vite imposent leur rythme. Le rythme du corps de Tara.

Lorsque le mari de Tara meurt, son corps se souvient. La douleur de la perte de cet homme qui avait apaisé les blessures, qui lui avait donné le droit de continuer à exister, en tant qu’être humain et en tant que femme, fait ressurgir une douleur bien plus profonde. 

Cette existence auprès d’Emmanuel qui lui avait permis de tenir debout s’est écroulée subitement, faisant s’écrouler en même temps tout ce qu’elle avait pu reconstruire en elle. 

Avec la perte d’Emmanuel, c’est la mort qui revient, le coffre, l’enfermement. C’est l’amour qui s’en va à nouveau. Mais les pieds dansent, « tât taï taam dîth taï taam ». Au travers de l’absence, le corps se réveille, le corps n’a pas oublié, le corps se meut, se cabre et s’envole.

C’est avec cette folie du corps et de sa mémoire violemment retrouvée que le lecteur va plonger dans l’enfance brisée de Tara, qui ne s’est pas toujours appelée ainsi…

L’enfance, l’amour, Vijaya

C’est l’histoire terrible et violente d’une petite fille dont la vie va basculer du jour au lendemain dans le néant. Elle n’aura plus de nattes, plus de jupes à fleurs et ne dansera plus. 

Elle ne sera plus une petite fille, même pas juste une fille, même pas un être humain. On ne prononcera même plus son nom, Vijaya. 

Elle sera le chien méchant du fond de la cour, puis la fille gâchée. Gâchée par l’anéantissement qu’on aura fait de son être.

Cependant, malgré la barbarie et la maltraitance, l’enfant en elle n’a pas été tué. C’est avec une grande douceur et une grande sensibilité que Natacha Appanah nous livre le récit d’une petite fille qui malgré son enfance piétinée aura toujours le cœur battant. 

L’amour se diffuse en elle comme un nectar précieux. Son corps aime. C’est en aimant ce garçon mystérieux qui vient lui rendre visite dans sa case, ou elle est gardée comme un animal sauvage dont on ne sait que faire, qu’elle deviendra « une fille gâchée ». C’est parce qu’elle l’a aimé avec son corps qu’on lui arrachera ce qu’elle avait dans le ventre. Mais le cœur de Vijaya n’aura de cesse de continuer à battre : « tât taï taam dîth taï taam ». 

La liberté profondément enracinée en elle par son père et l’amour qu’elle a reçu feront toujours vibrer son corps.

Rien ne t’appartient est un livre d’une grande beauté écrit dans la langue du corps, qui nous donne envie d’aller danser sous la pluie avec l’enfant qu’on a été. 

Bien que l’histoire soit très triste, lorsqu’on referme le livre, on a envie de rire, d’aimer et de préserver toutes les petites choses qui font de nous des êtres humains.

Elodie Da Silva

Natacha Appanah, Rien ne t’appartient, Gallimard, « folio », mars 2023, 176 pages, 7,50 euros

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