L’esprit impérial, passé colonial et politiques du présent : amalgames & co
Un historien britannique de la France
Auteur de Comment sont-ils devenus résistants ? (Les arènes, 2017), Robert Gildea est un ancien élève de Theodore Zeldin et enseigne à Oxford. Sa spécialité ? La France, mes amis, celle des XIXe et XXe siècles. Les éditions Passés composés ont choisi de traduire et de publier L’Esprit impérial, essai d’histoire comparée sur la France et la Grande-Bretagne, grandes puissances hantées par leur passé colonial.
Des nations en quête d’empire
Comparer la France et l’Angleterre (puis la Grande-Bretagne) et la mise en place de leurs empires coloniaux respectifs est totalement légitime. Les deux États se sont d’ailleurs affronté très tôt tout autour du monde pour la maîtrise des routes maritimes et pour la domination en Amérique, en Asie et en Afrique : Robert Gildea expose de manière synthétique mais précise la formation des deux grands empires coloniaux, y compris dans leurs méthodes coercitives vis-à-vis des peuples colonisés. La perte de leurs empires respectifs a, c’est indéniable, entraîné une crise de leur identité, à un moment où des vagues d’immigration des anciennes colonies vers les anciennes métropoles provoquaient des craintes, voire la haine d’une partie des populations anglaises et françaises.
Des imprécisions
En lisant cet essai, on est frappés par le nombre d’imprécisions ou d’erreurs. Ainsi page 93, les japonais sont censés avoir pris Calcutta en Inde, ce qui est faux ou la base de Colombo à Ceylan, également faux. À un autre moment, il stigmatise la politique coloniale française en Algérie (à raison) en estimant qu’elle provoque des conversions à l’islam de la population. Robert Gildea ne sait-il pas que l’Islam était la religion des algériens au moment de la conquête ?
Esprit colonial : un ouvrage idéologique
La lecture de cet essai intrigue. Gildea estime que les actions présentes de la France et de la Grande-Bretagne ont un lien avec leur passé colonial. On peut estimer que oui, par exemple lorsqu’il évoque l’intervention française en côte d’ivoire. Les deux guerres en Irak aussi, disons que cela se discute même si elles sont, surtout la deuxième, des erreurs historiques majeures. Il estime surtout que le passé colonial anglais et français influence la relation avec les immigrés et leurs descendants issues des anciennes colonies. Le débat en France ne l’a pas attendu. Il est évident que le regard de beaucoup est influencé par ce passé : les pieds noirs et leurs descendants par exemple.
Des thèses discutables
On est par contre surpris du ton empathique de l’auteur vis-à-vis d’un personnage aussi sulfureux qu’Houria Bouteljda, membre des indigènes de la République : il « oublie » ainsi nombre de ses déclarations antisémites. On est aussi épatés lorsqu’il inclut dans sa démonstration liant le passé colonial au rapport à l’Europe et la dénonciation du néolibéralisme… ce qui ne le gêne pas pour défendre l’action d’Emmanuel Macron dont la politique économique est néolibérale (la crise du coronavirus peut peut-être marquer un tournant).
L’histoire sert ici une thèse. Ceux qui sont proches de Gildea seront enchantés, pas les autres.
Robert Gildea, L’Esprit impérial, traduit de l’anglais par Simon Duran, Passés composés, février 2020, 450 pages, 25 eur