Cicéron sous la plume de Stefan Zweig
Stefan Zweig maîtrisait l’art de la biographie comme nul autre. Parmi ceux auquel il consacre des pages, Cicéron a une place à part. Son texte est très court et cependant d’une importance capitale, parce que dans son Cicéron, Stefan Zweig parle sans doute autant de son temps et de lui que du grand maître latin. Cette biographie est réduite au moment où Cicéron est contraint par la dictature qui s’installe…
Le penseur et le dictateur
La prise de pouvoir par Jules César et l’instauration de sa dictature met fin, temporairement, à la République. Respectant son plus illustre adversaire, Cicéron, César lui accord la grâce d’une vie d’exil, plutôt que la mort. Le grand orateur et philosophe, après tant d’année à servir la chose publique, va pouvoir jouir du temps et travailler à ses œuvres. Deux écrits majeurs naîtront alors, De la vieillesse et De l’orateur. A la mort de César, Cicéron retourne à Rome mu par le désir de sauver la République. Mais dans la confusion du crime, entre les conjurés qui n’osent pas prendre le pouvoir et les fidèles de César qui veulent se venger, seul Cicéron, autorité au-dessus des querelles partisanes, semble pouvoir maintenir l’équilibre. Mais ses efforts pour imposer la « dictature de la Liberté » trouve un peuple romain contaminé par une dépravation morale généralisée. Alors Cicéron abandonne de nouveau Rome pour ses livres.
Mais quand tous les adversaires (Octave, Lepide, Antoine, Brutus et Cassius) cessent les combats et que le triumvirat se met en place, exilant Brutus et les siens, tous font appel à lui en même temps. C’est sans doute à cela qu’on reconnaît un vrai sage… Mais comment installer un pouvoir autoritaire (dont la première action sera de spolier les biens des plus riches…) en laissant vivre la voix de la Liberté et de l’idéal ? Cicéron doit mourir, et il le sent, qui ne fuit pas.
La République idéale
Bouleversé, il a dû reconnaître que cette République idéale dont il rêve pour sa patrie, cette renaissance de l’ancienne morale romaine, ne pourrait plus être réalisée en ces temps de mollesse.Mais comme, en se heurtant à la réalité dure et concrète, il n’a pu accomplir cet acte salvateur, il veut au moins sauver son rêve pour le transmettre à une postérité plus sage.
Le rêve de Cicéron meurt avec la République qu’il a tant aimé. Il restera lui-même la figure de l’idéal en matière de pensée, d’engagement, de hauteur d’esprit et de responsabilité.
Et si Zweig était le Cicéron du XXe siècle ? C’est en tout cas ce que peut laisser suggérer le choix de l’épisode de la vie du romain choisi pour cette biographie. L’intellectuel qui fuit la dictature, qui est la seule conscience éclairée de son temps, qui se retire pour mieux écrire et qui finalement fait le choix de la mort, lequel est-ce ? Ou bien les deux, car si Cicéron fait demi tour sur le chemin de l’exil pour revenir en Italie et pour ainsi dire se livrer à ses bourreaux, Zweig se suicide. Deux manières de s’offrir à la mort.
Le Cicéron de Stefan Zweig est un modèle d’élégance et d’intelligence. Il porte haut le rôle de l’homme d’esprit dans la Cité. Il montre combien sont nécessaire de tels hommes en période de privation des libertés et d’avilissement de la population.
Loïc Di Stefano
Stefan Zweig, Cicéron, traduite l’allemand et préfacé par Michel Magniez, Rivage, « Petite bibliothèque », juin 2020, 82 pages, 7 eur