Dans la tête d’un kamikaze, entretien avec Stéphanie Hochet

A l’occasion de la parution de son très beau roman Pacifique, Stéphanie Hochet nous a accordé l’entretien que voici !

Entretien

On n’avait pas lu, dans vos romans précédents, un attrait pour le Japon. Pacifique relève cela ?

Je me passionne pour beaucoup de choses sans les révéler immédiatement dans mes romans. Je m’intéresse à la littérature japonaise depuis une vingtaine d’années. C’est surtout Mishima que j’ai beaucoup lu. J’aime son extrémisme et sa poésie. Mais j’ai aussi trouvé passionnant Kawabata, Sōseki, ou plus contemporain Mizubayashi — qui a écrit un livre fascinant sur les bains japonais qui m’a inspiré pour la dernière partie de Pacifique. Et puis le cinéma japonais m’a également beaucoup appris (je pense entre autres à La Ballade de Narayama d’Imamura).

Comment entre-t-on dans la tête d’un kamikaze ?

Pour moi qui m’interroge sur les raisons de choisir la vie à la mort et qui suis hantée par la question du suicide, l’empathie avec mon personnage a été immédiate. D’autant que Kaneda n’est pas un fanatique. C’est un jeune homme qui veut faire son devoir de soldat. Beaucoup de pilotes de l’armée impériale partaient en mission suicide (Kikusui : chrysanthèmes flottants) la mort dans l’âme. On a retrouvé les lettres déchirantes qu’ils écrivaient à leur famille. Ils étaient abattus, tellement tristes qu’ils devaient cacher profondément leurs sentiments. Certains volontaires étaient des têtes brûlés mais ils n’étaient pas la majorité. Il est impossible d’exprimer ses critiques dans une armée fasciste comme celle de l’Empire durant la guerre du Pacifique. Ces garçons avaient souvent 20 ans, ils n’avaient rien connu de la vie. Ils ressemblent aux soldats de la guerre de 14 envoyés au casse-pipe pour gagner 10 mètres de terrain durant les batailles. On les a pris pour des fanatiques, des monstres mais la réalité n’était pas si simple.

portrait de Stéphanie Hochet © Charlotte Jolly de Rosnay

La polysémie du titre est magnifique. Votre roman pouvait-il exister ailleurs ?

Il aurait pu être publié avec un autre titre car je n’ai trouve le titre « Pacifique » qu’au dernier moment. C’est le titre qui lui convient le mieux car l’amphibologie le rend plus fort. Aux lecteurs de comprendre de quoi je parle.

La troisième partie de Pacifique trouble, par rapport aux deux autres, mais en soi-même. J’aimerais oser un rapprochement avec la trame narrative de La Dernière tentation du Christ. Qu’en pensez-vous ?

Merci pour ce beau compliment. Ce film est superbe et pose beaucoup de questions. Le lecteur peut en effet penser que cette dernière partie du roman relève du fantasme. On ne peut exclure que Kaneda soit mort ou mourant mais je n’ai pas écrit cette partie avec cet objectif. Pourtant, je conçois qu’on puisse l’interpréter ainsi.

propos recueillis par Loïc Di Stefano

Stéphanie Hochet, Pacifique, Rivages, mars 2020, 142 pages, 16 eur

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