Takuji Ichikawa, Je reviendrai avec la pluie

A quoi tient le charme ?

Devant le succès de certains romans japonais contemporains, tels que Je reviendrai avec la pluie de Takuji Ichikawa, on peut distinguer au moins trois veines qui remonteraient aux origines du genre. Tout d’abord une attention « poétique » et esthétique à la vie, à l’éphémère. Ainsi, et c’est un poncif en partie vrai, y sont exaltés tous les sens : pensons par exemple à l’odorat et au goût culinaire exaltés dans Le Roman de l’amour retrouvé d’Ito Ogawa.

En deuxième lieu, alors que le Japonais est perçu comme très discret, nuancé dans l’expression d’un refus, pudique en société, ces textes abordent de manière frontale les thèmes de la sexualité et de la mort, comme dans le Convoi de l’eau de Akira Yoshimura.

Un troisième trait, qu’on retrouve également dans Je reviendrai avec la pluie, est le fantastique apprécié des lecteurs de Haruki Murakami, qui prend sa source dans l’attachement aux contes traditionnels et à la mémoire transgénérationnelle.

Si le roman est résolument ancré dans la modernité car on y vit, lit, mange et travaille à la façon occidentale et plus précisément américaine, son thème principal est la mémoire, au sens propre en l’occurrence, que l’épouse du narrateur qui fait inopinément retour un an après sa mort, a perdue.

Cette invraisemblance une fois acceptée par le lecteur, et poétiquement posée dans les premières pages,  la composition du roman se déplie de manière habile : l’amnésie de la jeune femme qui interroge le narrateur sur son passé donne lieu à des retours en arrière qui constituent une histoire d’amour délicate et confèrent au fantôme et au lecteur la même place.

Un des ressorts du roman tient à d’autres mises en abyme : non seulement ce texte est en partie celui que le narrateur est en train d’écrire dans l’histoire mais d’autres écrits sous la forme de lettres vont jouer un rôle important par la suite, quitte à défier la vraisemblance ou la cohérence à la fin du roman…

Apprivoiser la séparation et la mort avec des yeux d’enfant

Dès lors, ce texte réalise un regret très commun à ceux qu’un deuil laisse dévastés : celui de n’avoir pu se préparer au départ du défunt, car Mio, la jeune femme, avait promis qu’elle reviendrait à la saison des pluies, « rejouant » en quelque sorte sa première disparition.

La perte est celle que ressent le conjoint, maladif et fragile, mais d’abord celle de leur enfant de six ans qui fait ainsi l’expérience de la mort ; le livre s’ouvre sur la fiction réconfortante d’une planète où vivrait désormais la mère et dont le jeu sur le nom Archive/Archevie est astucieusement rendu dans la traduction française.

Au fur et à mesure du développement des chapitres, la distance se réduit entre le statut de l’enfant et celle du narrateur, le premier devenant presque plus adulte que l’autre. Un des charmes du livre réside dans la figure à la fois naïve et mature de cet enfant. Ses mots et les histoires qu’il se raconte, une curieuse collection de boulons, font du petit Yûyi un personnage très attachant.

C’est aussi lui qui donne lieu aux portraits les plus sensibles s’attardant sur la silhouette, la chevelure « de prince anglais », la fragilité de la peau. Le livre s’ouvre et se referme sur ses paroles interrogatives dont l’unique secours est l’imaginaire et le rite, qui ont peut-être manqué au père.

« Une histoire divertissante, que les gens puissent lire avec plaisir »

Dans la postface, l’auteur, confie qu’il a beaucoup emprunté à sa vie, en particulier aux traits de caractères ou faits les moins vraisemblables. En effet, le narrateur est atteint de symptômes qui affectent sa vie quotidienne, ses déplacements et le soumettent à des accès de fièvre sans qu’aucune pathologie reconnue soit identifiée, ni qu’on puisse en évaluer la part psychosomatique.

Quant à Mio, elle est décrite comme une belle jeune femme, mais d’une beauté révélée sur le tard, à la fois sérieuse, timide, intelligente et sensible, sans néanmoins être brillante.

La rencontre et l’attirance mutuelle de ces deux êtres qui pendant des années ont vécu dans un périmètre de deux mètres, celui de leurs tables en classe de lycée, présente une histoire d’amour comme le reconnaît l’auteur dans la postface de 2006, dans la mouvance « pure love », autrement dit de la romance.

En somme, beaucoup de lecteurs peuvent se reconnaître dans ces personnages qui ne sont ni particulièrement brillants, ni à plaindre, mais dont la personnalité jusque dans ses failles et irrégularités est décrite avec humanité et sensibilité.  Eux-mêmes vivent leur normalité ou la banalité de leur quotidien, leurs faiblesses, non pas comme des entraves à l’amour mais comme un catalyseur, qui les lie de manière unique, dans une complémentarité et une rencontre de deux personnalités qui s’accordent.

D’un certain côté, on peut dire que ce roman comporte tous les « ingrédients » de la réussite, un enfant adorable, un vieillard sage, une histoire d’amour entravée par la mort, qui par là-même donne à ressaisir la valeur de la vie. Il n’en demeure pas moins un roman d’apprentissage sensible qui dépasse le tragique par l’accueil et l’acceptation de ce qui survit à la perte.

Takuji Ichikawa espère que Je reviendrai avec la pluie soit « une histoire divertissante, que les gens puissent lire avec plaisir ». Il est certainement un peu plus que cela.

Florence Ouvrard

Takuji Ichikawa, Je reviendrai avec la pluie, traduit du japonais par Mathilde Tamae-Bouhon, J’ai lu, avril 2024, 320 pages, 8,50 euros

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