Trois jours et une vie, Nicolas Boukhrief adapte Pierre Lemaitre

entretien avec Nicolas Boukhrief

L’entretien qui suit n’est pas exactement un entretien. Pour éviter de dévoiler quoi que ce soit de l’intrigue du film, nous n’avons pas à proprement parler posé des questions à Nicolas Boukhrief. Nous lui avons simplement demandé de réagir à des mots qui pouvaient, nous a-t-il semblé, s’appliquer à son travail.

BELGIQUETrois jours et une vie a été tourné en Belgique pour des raisons de production et parce que, parmi les personnages, il y avait un certain nombre d’enfants. En France, la législation actuelle interdit de faire travailler un enfant sur un tournage plus de quatre heures par jour. Je ne remets pas en cause cette législation, mais je fais simplement remarquer que des films tels que Les 400 Coups ou Au revoir, les enfants ne pourraient pas être réalisés en France aujourd’hui — même si, « pour gagner du temps », le HMC de l’équipe (Habillage-Maquillage-Coiffure) se charge de maquiller les enfants comédiens chez eux, avant de les amener sur le plateau ! En Belgique, on peut tourner avec des enfants un peu plus que des demi-journées.

            La Belgique a aussi la faveur des producteurs pour les tax shelters, autrement dit pour les niches fiscales qu’elle offre au cinéma. Mais tax shelter ne signifie pas, comme ce peut être le cas au Canada, du côté de Winnipeg, techniciens de niveau médiocre. Il y a un savoir-faire belge. Les assistants sont généralement recrutés dans les écoles de cinéma et, sur un plateau, ils parlent entre eux plutôt de l’œuvre d’un réalisateur qu’ils viennent de découvrir que du match de foot de la veille. On trouve dans les équipes belges un mélange d’enthousiasme, d’humour et d’absence de prétention. Comme le dit Benoît Poelvoorde, en France, quand le réalisateur crie : « Enlevez-moi cet accessoire ! », l’ordre est repris par son assistant, puis par le second assistant, puis par… Au bout de la chaîne, ce sera l’accessoiriste qui enlèvera l’accessoire. En Belgique, c’est le membre de l’équipe, quel qu’il soit, qui se trouve être le plus près de l’accessoire qui enlèvera l’accessoire.

Charles Berling dans le rôle de Michel Desmedt

BUDGET ■ Je ne connais pas le budget de Trois jours et une vie et je ne veux pas le savoir, puisque je ne suis pas coproducteur et puisque, dès qu’on aborde la question des budgets, tout le cinéma français ment. Je travaille à partir des éléments concrets dont je dispose. Si l’on me dit : « Tu as droit à mille figurants pour tout le film », je m’organise en fonction de cette donnée.

            Lorsque, au moment de la sortie du Convoyeur, un journaliste m’a demandé quel était le budget du film, je lui ai communiqué le chiffre qui m’avait été donné par les producteurs… et je me suis fait taper sur les doigts. Parce que j’avais divulgué le budget réel, et non le budget annoncé officiellement : « On n’aura jamais plus pour le prochain film ! » Qui pis est, je ne suis pas un réalisateur très « dépensier », et beaucoup de gens sont étonnés, par exemple, quand ils entendent dire que Made in France a dû coûter en tout environ 2,4 millions d’euros. Enfin, il n’y a pas un budget, mais des budgets : le budget déposé auprès du CNC ; le budget avec imprévus ; sans imprévus ; le budget avec ou sans cachets ; le budget de fabrication (mais est-ce que le prix du scénario fait partie de la fabrication ?)… J’ai renoncé à démêler les fils de cet écheveau.

            Ce que je peux dire, c’est que le fait de tourner avec des budgets moyens me donne une grande liberté dans le choix des acteurs. Pour aucun des films que j’ai tournés on ne m’a imposé tel ou tel comédien. 

Pablo Pauly dans le rôle d’Antoine Courtin

CHIEN ■ Quand j’ai commencé à lire le scénario de Trois jours et une vie, j’ai trouvé qu’il était bien écrit, que le rythme était bon – mais que ce n’était pas pour moi. Et puis, quand est arrivée, p. 25, la « scène du chien », je me suis dit : « Ah ! » Et donc, si à l’arrivée, dans le film, l’ouverture peut sembler un peu mièvre, entre autres à cause de la musique et des violons qui l’accompagnent, c’est volontaire. La « scène du chien » n’en est que plus choquante. Mais j’ai choisi de placer l’essentiel de l’action  hors champ, me disant que, si elle était trop violente, la suite, aux yeux des spectateurs, le serait beaucoup moins. De toute façon, que les fidèles de l’émission Trente millions d’amis se rassurent : aucun animal n’a été maltraité pendant le tournage de Trois jours et une vie.

CONSÉQUENCES ■ Depuis l’adolescence, j’ai compris que tout acte avait des conséquences. Si l’on roule à 120 km/heure un samedi soir ivre mort sur l’autoroute, n’en parlons pas… Mais quand on fait de la mise en scène, tout choix de décor trois mois avant le tournage peut déboucher sur un véritable cauchemar si l’on s’est trompé.

            Ce rôle des conséquences était la base même de l’histoire de Pierre Lemaitre : un garçon commet un acte irréfléchi. Quinze ans plus tard, il se retrouve face aux conséquences de cet acte — ou de ce non-acte — qu’il a posé. Et ce schéma est la base même de toute construction dramatique : écrire un scénario, c’est poser un acte et envisager ses conséquences. Inutile de préciser, donc, qu’une histoire comme celle de Trois jours et une vie, c’est du pain béni pour un metteur en scène. Les twists ne sont pas des twistsde scénariste malin tordant ses personnages dans un sens qui l’arrange. Ce sont des twists humains, voire sentimentaux.

ENFANTS ■ Le travail avec des enfants est très particulier. Il faut, pour orienter un comédien adulte, jouer sur un « effet miroir », venir le voir en adoptant soi-même l’état d’esprit de son personnage pour qu’inconsciemment il le reproduise. Cette méthode ne convient évidemment pas avec des enfants. On ne va pas aller voir un enfant en étant très en colère pour qu’il soit en colère dans la scène qu’il a à tourner. On parviendra tout juste à le crisper si l’on fait cela. Il faut donc établir avec lui une relation simple, se mettre à son niveau émotionnel, ne jamais lui donner la musique des mots si l’on ne veut pas se retrouver devant un singe savant. C’est passionnant, mais c’est épuisant, parce qu’il faut osciller constamment entre les comédiens adultes et les comédiens enfants. Je me suis assez vite rendu compte qu’avec ses trois enfants d’âge différent (impliquant donc trois discours) et son chien, Trois jours et une vie était un faux film simple.

            En outre, comme le héros enfant est surtout passif, il ne fallait pas à proprement parler un acteur, mais un regard. Comme dans les films russes tels que Va et regarde ou L’Enfance d’Ivan. J’ai eu la chance de trouver ce garçon — Jérémy Senez — qui n’a pas l’ambition de devenir comédien, mais qui voulait simplement voir de l’intérieur le métier de son père, scénariste et réalisateur.

            Cela dit, cette obligation de revenir à la perception du monde qu’on avait quand on était enfant n’était pas propre à ce film. À moins d’avoir en permanence une vision de poète — ce qui n’est pas mon cas ! —, c’est le seul moyen de produire quelque chose de bigger than life. C’est la raison pour laquelle je dirais que je fais plutôt du cinéma expressionniste que du cinéma fantastique, puisque, à part pour Un ciel radieux, mes sujets restent relativement réalistes.

FIGURANTS ■ Quand les Américains disent « supporting actor » pour leurs Oscars, les Français emploient pour les Césars l’expression « acteur de second rôle ». Autrement dit, on est et on reste au pays de Poulidor. Dans cette catégorie, même le numéro un n’est pas autre chose qu’un numéro deux. Alors qu’aux États-Unis, l’idée est que l’acteur principal n’est rien s’il n’y a pas le supporting actor pour le « supporter ».

            Comme je ne découpe pas beaucoup, j’ai tendance à raisonner « à l’américaine » : dans un plan séquence, un acteur qui n’a que trois répliques à dire fichera tout en l’air s’il est mauvais. Je m’attache donc à motiver les comédiens, même quand ils n’interprètent que des personnages épisodiques. Les comédiens, et les figurants.

            De manière générale, on traite les figurants comme du bétail sur les tournages, même si, quand ils débarquent du bus à 4h. du matin, on leur sert un vague café. J’ai compris depuis longtemps que les figurants étaient eux aussi des acteurs, au plein sens du terme, et que, si je voulais qu’ils n’apparaissent pas comme une masse informe, il fallait que je me lève un peu plus tôt pour les accueillir individuellement, pour serrer la main de chacun lorsqu’il descend du bus. « Bienvenue sur le tournage. Je suis le metteur en scène. »

            C’est ce qui me permet de reconnaître, pour sa plus grande joie, cette dame qui avait déjà été figurante sur La Confession ou de repérer le petit rigolo de service qu’il vaudra mieux placer au fond que dans les premiers rangs.

            J’explique aux figurants l’histoire, le sens de la scène que l’on va tourner. Je fais un peu de pédagogie du cinéma : je leur dis ce qu’est un plan large, un contrechamp. Certains n’ont qu’une très vague idée de la manière dont se fait un film : nous avons tourné en novembre ; une habitante du village pensait qu’elle pourrait voir le film à Noël, un mois plus tard ! J’entends donc traiter les figurants humainement, leur donner envie de jouer, et je ne crains pas de dire qu’il y a dans Trois jours et une vie des plans de foule dont je suis fier.

            Évidemment, me direz-vous, il n’est pas sûr que je pourrais agir de la sorte si je tournais un film avec trois mille figurants, mais pour ce film, je n’en avais que trois cents… ce qui, entre les « bonjour » et les « au revoir », représente malgré tout pas mal de mains à serrer !

FLASHBACK ■ Lorsque je travaillais avec Christophe Gans sur le scénario de Silent Hill, le producteur, Samuel Hadida, avait été catégorique : « Pas de flashbacks. Aux États-Unis, les spectateurs sortent de la salle pour aller acheter du pop-corn. Si, quand ils reviennent, ils arrivent au milieu d’une séquence de flashback, ils ne comprennent rien. ». (Christophe en a quand même glissé un dans le film.)

            En France, on ne sort pas pour aller acheter du pop-corn, mais je veux raconter ici une anecdote à propos du Convoyeur, film qui avait vraiment commencé à se dessiner clairement pour moi lorsque — du fait de contraintes de production — j’avais été amené à faire du flashback la clé de voûte de mon scénario. À Marseille, à l’issue d’une avant-première, un spectateur est intervenu pour me dire qu’il trouvait mon film formidable, vraiment formidable, mais qu’il ne comprenait pas pourquoi Dupontel avait des cheveux dans certaines scènes et n’en avait pas dans d’autres…

            Pour Trois jours et une vie, le principe du flashback est ce qui me permet de faire patienter le public avant que l’histoire ne commence (je pense d’ailleurs que beaucoup de spectateurs oublient que c’est un flashback au moment où il se déroule).

GÉNÉRIQUE ■ Depuis Le Convoyeur, mes génériques sont toujours faits sur le même modèle. Mon nom n’apparaît qu’après celui des comédiens et qu’après le titre, dans le générique final. J’emprunte cette « chronologie » au théâtre. Pialat disait qu’il ne fallait pas seulement mettre « avec » dans les génériques – il faudrait mettre aussi « contre ». Disons qu’il a pu quelquefois m’arriver de régler certains comptes. Dans la liste des remerciements, par exemple : il y a les noms des remerciés bien sûr, mais il y a aussi les noms qui manquent. Le public n’est évidemment pas conscient de ces omissions, mais elles n’échappent pas aux membres de l’équipe du film. Cela dit, la plupart du temps, je « surclasse ». Si l’accessoiriste ou le chef-machiniste a été bon, je lui offre un carton à part entière, alors que l’usage voudrait qu’il n’apparaisse que dans le déroulant.

HAPPY END ■ Du point de vue du personnage principal, la fin de Trois jours et une vie est plutôt une unhappy end. Pour les autres, c’est dans l’ensemble plutôt happy. De tous les personnages, c’est la jeune fille que je trouve au fond la plus puissante : au départ larguée, sans avenir, fiancée à un gars pour lequel elle n’a pas une passion dévorante, liée à des parents éternellement dépressifs, elle parvient à donner un cadre et un destin au personnage principal, qui se retrouve à exercer un métier honorable et utile ; elle trouve une place pour elle-même et devient une notable au sein de la ville ; ce faisant, elle élève socialement ses parents et elle leur offre deux petits-enfants qui leur redonnent l’appétit de vivre.

            Happy ou pas happy, donc, comme on voudra. Je me suis trompé quand j’ai choisi un happy end pour Gardiens de l’ordre. Nous étions tous tellement heureux en tournant ce film que nous rêvions déjà d’une suite. Mais la vraie logique de l’histoire aurait consisté à faire mourir le héros masculin. La gardienne de l’ordre, avec son idée de la justice et de l’ordre, devait perdre le gardien.  Le happy end s’est retourné contre le film.

NUIT ■ Il faut bien réfléchir avant d’écrire dans un scénario « EXT. NUIT ». Parce que, la nuit, on est censé dormir et que tourner la nuit, si cela signifie tourner plusieurs nuits de suite, c’est vite fatigant et on risque d’être victime d’un « jet lag ». En outre, si on a l’équipe avec soi pendant les deux ou trois premières heures, on doit ensuite raviver l’énergie des gens qui ont tendance à décrocher. Et c’est encore pire quand on tourne en décembre, au fond d’une forêt humide. Je ne sais pas quel âge avait Scorsese quand il a réalisé À tombeau ouvert, mais il faut une belle santé pour tourner soixante-dix nuits de suite, même si le sujet l’exige.

            D’une certaine manière, la nuit faisait ici partie du sujet puisqu’elle est traditionnellement associée aux peurs de l’enfance. Le numérique permet aujourd’hui de réaliser de vraies scènes de nuit. On n’a plus besoin d’éclairer la forêt quand on doit filmer un enfant avec une torche dans une forêt. La lumière de la torche suffit. Avec le numérique, on peut filmer un vrai couvre-feu. Avec la pellicule, il fallait toujours tricher, car la pellicule lutte contre la nuit.

Philippe Torreton dans le rôle du Docteur Dieulafoy

PÈRE ■ Dans Trois jours et une vie, il y a cette réplique : « Tu as de la chance, toi, ton père est mort », qui pour Lemaitre est la clé du personnage central. Dans le roman, le père était simplement absent (sauf erreur, il vivait en Allemagne). Ce hors-champ aurait été difficile à scénariser. La solution a consisté à faire de ce père un père mort.

            Lydia Decobert, mon épouse, qui est aussi la monteuse de mes films, m’a dit en lisant Trois jours et une vie quelque chose qui m’a tout de suite éclairé : « C’est l’histoire d’un enfant qui n’a pas de père, mais qui a trois pères potentiels dans le village. » Il y a le père spirituel qui est le médecin incarné par Philippe Torreton, le père ogre, interprété par Charles Berling, et qui est le père qu’on ne voudrait surtout pas avoir ; et le beau-père, qui ne se révèle comme tel qu’à la fin mais pour lequel il y avait dès le début anguille sous roche. Et, paradoxalement, le héros finit par devenir le fils de celui des trois qu’il aurait souhaité le moins au monde avoir comme père !

SON ■ J’ai eu comme mixeur son Thomas Gauder, qui a entre autres travaillé avec les Dardenne (pour Le Jeune Ahmed, par exemple) et qui a donc un rapport intime avec les sons de la réalité, mais qui n’est pas du tout opposé à l’introduction de sons sophistiqués. Ce mélange de naturalisme et d’expressionnisme me paraissait idéal pour ce film.

            Pour la musique, j’ai fait une nouvelle fois appel à Rob, compositeur inspiré et inspirant, et excellent spectateur, très fin dans sa manière de recevoir les images. Il n’avait pas lu le scénario et ne savait rien de l’histoire avant que je ne lui montre le film (une seule fois) ; je lui ai simplement dit : « Je veux de la flûte, du piano et des nappes », et je lui ai fait entendre un thème du Martin de George Romero. Trois semaines plus tard, il est revenu avec ce qui constituait déjà les quatre cinquièmes de la musique de Trois jours et une vie.

            J’avoue ne pas très bien comprendre ces réalisateurs dont on dit qu’ils ne passent au mixage qu’une fois par semaine. Le son est un élément constitutif du corps même du film.

Dimitri Storoge (dans le rôle du gendarme Lambert) et Charles Berling

STOROGE (DIMITRI) ■ Je l’avais vu dans Les Lyonnais, où il interprétait le personnage de Lanvin jeune, et je l’avais trouvé flamboyant. Quand Jamel Debbouze a brutalement fait défection à quelques semaines du tournage sur un de mes projets, j’ai songé à lui pour reprendre le rôle, mais on ne pouvait pas monter le film sur son nom et le film s’est effondré. Je ne l’avais pas pour autant oublié et c’est lui que j’avais en tête quand j’ai écrit Made in France. Il a apporté dans ce film quelque chose, une crédibilité qui a dépassé toutes mes espérances. Moyennant quoi — originalité du cinéma français… — on ne lui offrait plus que des rôles de psychopathe, de serial killer sans intérêt. « Il me fait peur, ton acteur ! » me disait-on. Je lui ai donc proposé le rôle du cadre dépressif dans Un ciel radieux, parce que j’avais, pour ainsi dire, l’obligation morale de le lui proposer et parce que je savais qu’il pourrait le faire et rendre le personnage très émouvant.

            Il interprète dans Trois jours et une vie le rôle du gendarme. Dans le scénario original, ce gendarme Lambert — ainsi nommé par Pierre Lemaitre en référence au juge Lambert, j’imagine — était un personnage sans grande consistance, très vite dépassé par les événements, et peu intéressant d’un point de vue dramaturgique puisque sa présence ne contribuait pas à introduire le moindre suspense. Dimitri Storoge, avec la concentration qui était la sienne, a fait de ce personnage quelqu’un dont on peut penser qu’il va trouver la solution à l’énigme qui est au cœur de l’intrigue. Il a d’ailleurs beaucoup impressionné Sandrine Bonnaire dans la scène de l’interrogatoire de l’enfant.

            Mais son personnage a plusieurs facettes. Ce gendarme qui tient au début un discours si précis, si puissant à travers son porte-voix, nous le retrouvons en civil et en retard à la fin, avec ses cadeaux de Noël à la main. Il s’est visiblement fait mettre le grappin dessus par la jeune fille ambitieuse de la supérette et c’est l’un des seuls qui, ironiquement, n’auront rien compris à l’histoire.

Sandrine Bonnaire dans le rôle de Blanche Courtin

TEMPS ■ David Fincher a dit en substance que l’art et la difficulté du cinéma étaient d’accélérer les choses qui sont lentes et de ralentir les choses rapides. On ne saurait mieux dire, mais il y a là quelque chose qui reste pour moi un mystère. En douze heures, les séries ont le temps de raconter, mais pensez à tout ce que Coppola fait rentrer dans les 2h30 d’Apocalypse Now (première version). Juste le temps d’un aller en train Paris-Lyon !

            On compresse avec des ellipses. Celle de Trois jours et une vie est une ellipse de quinze ans, en plein milieu du film, ce qui lui donne deux parties vraiment distinctes. L’avantage des villages comme celui du film, c’est que le temps semble souvent s’y être arrêté. Nous n’avons pratiquement pas vieilli les personnages. Nous n’allions pas utiliser des prothèses — l’artifice aurait été beaucoup trop visible — et, de toute façon, aujourd’hui les gens changent physiquement beaucoup moins en quinze que ce pouvait être le cas il y a un demi-siècle. Qui peut dire exactement l’âge de Bonnaire ? l’âge de Berling ?

Tournage dans les rues d’Olloy-sur-Viroin, section de la commune belge de Viroinval située en Région wallonne dans la province de Namur (Belgique)

VILLAGE ■ « Tu as fait ton villagexploitation ? » m’a dit un ami journaliste. Et c’est vrai, très longtemps, et surtout après la guerre, la province française, les petites villes ont été à la source d’un véritable genre du cinéma français. Le décor d’Un revenant, avec Jouvet, permettait au scénariste Henri Jeanson de régler des comptes…

            Le village, avec ses caractères forts — le médecin, le curé, la brute, la veuve… —, sans parler des seconds rôles — le maire, son adjoint, l’arriviste… — permet de mettre en place une mythologie qui fait écho à ce que peuvent connaître beaucoup de nos concitoyens. Qui n’a pas des parents ou des grands-parents dans ce genre de village de province ?

            Et puis, il y a ce que j’appellerais « l’intérêt humain » d’un tournage dans un village. Notre équipe, pour les habitants du village où nous avons tourné, dont beaucoup ne s’étaient jamais aventurés plus loin qu’à Charleroi (autrement dit à 80 km de leur domicile), était comme un cirque débarquant dans un village des Vosges en 1920. Neige, pluie, bagarres, éclairage la nuit… Peu à peu, ils ont voulu voir le spectacle de plus près, ils se sont rapprochés de nous. La nuit, ils nous apportaient des soupes, des quiches… Charles Berling s’est parfois retrouvé presque aussi ivre mort que son personnage, après avoir bu toutes les Chimay qu’on lui avait offertes.

            Et, comme je l’ai dit, tous les habitants se sont pris au jeu quand ils ont fait de la figuration. Une femme me racontait que, en voyant Charles Berling exprimer en hurlant, devant tous les habitants du village, la douleur que lui causait la perte de son fils, elle avait vraiment pleuré, tant elle avait été émue. Et elle pleurait encore en me racontant qu’elle avait pleuré…

           Juste après la sortie en France, nous filons montrer le film aux habitants de ce village dont nous avons même gardé le nom à l’image : Olloy. Et je dois dire que nous sommes heureux de les retrouver et très impatients de découvrir leurs réactions !

Propos recueillis par FAL

Trois jours et une vie. Réal. : Nicolas Boukhrief. Scénario : Pierre Lemaitre et Perrine Margaine, d’après le roman de Pierre Lemaitre publié chez Albin Michel. Avec Sandrine Bonnaire, Pablo Pauly, Charles Berling, Philippe Torreton, Dimitri Storoge, Jérémy Senez. Sortie en salles le 18 septembre 2019. Durée : 2 heures.

Toutes les photos de cet entretien / extraits du film : © Copyright Nicolas Schul © 2019 MAHI FILMS – GAUMONT – FRANCE 3 CINEMA – GANAPATI – LA COMPANY – UMEDIA – NEXUS FACTORY

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