Ville sans loi, la part d’ombre de l’Amérique
Un grand du roman noir
De Jim Thompson (1906-1977), on peut dire qu’il a raté le monde de son vivant pour mieux le conquérir mort ! Fils d’un shérif et d’une institutrice, il commence à écrire des romans noirs dans les années 40. Il signe ainsi L’assassin qui est en moi, un vrai chef d’œuvre sur l’esprit criminel. Hollywood finit par faire appel à lui à travers Stanley Kubrick et son producteur James B.Harris pour L’Ultime Razzia : même s’il n’est crédité que pour les dialogues additionnels (pouffons !), ce film lui doit beaucoup, au point que Kubrick lui fera cosigner le scénario des sentiers de la gloire. En 1966, il signera son chef d’œuvre le plus marquant, 1275 âmes, publié par la Série noire sous le numéro 1000 et plus tard réédité dans une traduction intégrale chez Rivages. Ville sans loi est une occasion de retrouver le personnage de Lou Ford, déjà vu dans L’Assassin qui est en moi.
Au fond du trou
Mike Hanlon a fait fortune dans le pétrole au Texas, ce qui lui a permis de mettre la main sur la ville à côté de ses puits. Mais Hanlon est paralysé des jambes, suite à un accident lors de ses prospections. Il a épousé une femme, Joyce, dont il ne connait pas le passé tout en en devinant bien les turpitudes. Sous l’influence du shérif Lou Ford, Hanlon engage McKenna, un repris de justice au tempérament ombrageux, comme détective de l’hôtel qu’il possède. McKenna croit à un coup fourré de Ford et de Joyce, qui lui tourne autour. Alors il se tient à distance, fait son job. et serre les dents comme il croise Amy, la petite amie de Ford.
Quand il apprend que le comptable de l’hôtel est suspecté de malversation, il finit par passer le voir. Or dès son arrivée celui-ci sort de la salle de bains et se jette sur lui ! McKenna l’évite et le comptable passe par la fenêtre… Le détective amateur efface ses empreintes et croit s’en sortir jusqu’à ce qu’un courrier arrive à l’hôtel : on le fait chanter et on lui réclame 5000 dollars, la somme justement détournée par le comptable. Pour McKenna, il est vital de trouver qui est le maître chanteur…
La comédie humaine de Thompson
Ville sans loi, paru en 1957, permet donc de retrouver les personnages de L’assassin qui est en moi (on les croyait morts à la fin du livre). C’est aussi l’occasion pour Jim Thompson de nous donner une galerie de portraits exécutés à la truelle, sans fioritures. Nous voilà plongés dans une ville corrompue, où tous touchent des pots de vins, surtout le shérif. Avec Thompson, l’Amérique en prend pour son grade. Il excelle aussi dans les dialogues, très savoureux, surtout ceux du machiavélique Ford face à McKenna. Thompson était grand, Ville sans loi constitue une excellente occasion de le redécouvrir.
Sylvain Bonnet
Jim Thompson, Ville sans loi, traduit de l’anglais (USA) par Pierre Bondil, Rivages, février 2018, 288 pages, 7,90 euros